« Économie de guerre », une déclaration de guerre aux travailleurs ? (2/2)
Face à la menace de l’extrême droite poutino-trumpiste, mobilisons-nous en faveur de l’exigence de droits sociaux et de la bifurcation écologique.
Pierre Khalfa
Porte-parole de la Fondation Copernic
On attribue à Churchill l’aphorisme « il ne faut jamais gâcher une bonne crise ». Le gouvernement et le patronat sont visiblement décidés à appliquer ce précepte à la lettre. Les déclarations se multiplient selon lesquelles il serait indécent, alors que les menaces de guerre se feraient de plus en plus précises, de vouloir évoquer les droits sociaux des salarié.es, leurs conditions de travail ainsi que la bifurcation écologique. Les menaces réelles ou supposées servent de prétexte pour envisager une nouvelle phase de destruction de notre modèle social déjà bien mis à mal par les politiques néolibérales de ces dernières décennies.
Mais il y a plus : l’économie européenne est plombée par les règles du pacte de stabilité, qui induisent un effet récessif permanent, et par le refus d’utiliser la politique monétaire comme un outil d’investissement de long terme. Ce sont les recettes habituelles – austérité et politique de l’offre – qui continuent à s’appliquer.
Dans cette situation, développer l’industrie d’armement constitue un effet d’aubaine miraculeux pour les capitalistes. Voilà un marché générateur de forts profits qui ne dépend pas de la consommation des ménages et, qui plus est, a un fort potentiel de renouvellement. La Commission européenne a d’ailleurs accepté une dérogation au pacte de stabilité pour favoriser les dépenses d’armement, ce qu’elle avait toujours refusé d’envisager pour les dépenses sociales ou pour faire face à la crise écologique.
Mais qu’en est-il de ces fameuses menaces ? Elles existent. L’impérialisme russe veut faire revivre l’empire tsariste d’avant 1917. Les États-Unis de Trump veulent vassaliser les pays européens et détruire politiquement et économiquement l’Union européenne. L’extrême droite au pouvoir dans certains pays, et en forte progression en Europe, est alignée peu ou prou sur Trump et Poutine.
Ces trois menaces, se renforçant mutuellement, ont pour point commun une même vision du monde, remettant en question l’héritage des Lumières, refusant de respecter les impératifs écologiques, avec un mépris profond pour les droits humains et le droit international, et avec comme objectif de conforter un capitalisme autoritaire dominé par une oligarchie.
Face à cela, que devons-nous faire ? Contre Poutine, la priorité est de continuer à aider l’Ukraine en lui fournissant les armements nécessaires. Si Poutine est bloqué en Ukraine, il sera peu enclin alors à menacer d’autres pays. Aider l’Ukraine ne signifie pas cependant que nous en sommes en guerre et que nous devons soumettre toute l’activité économique et sociale à cette hantise. Il faut ensuite refuser la soumission aux États-Unis, c’est-à-dire à la fois être capable de résister aux mesures économiques prises par Trump et être indépendants en matière de défense.
Mais surtout, face au capitalisme oligarchique et autoritaire, il faut, par les mobilisations sociales et citoyennes, par notre engagement politique, construire une perspective fondée sur la solidarité et la justice sociale, seule à même de faire front contre l’extrême droite poutino-trumpiste.
Ce ruissellement d’argent en faveur du militaire aura un coût en matière de besoins sociaux. Le creusement des inégalités sera source de conflits.
Patrice Bouveret
Directeur de l’Observatoire des armements de Lyon
Tony Fortin
Chargé d’étude à l’Observatoire des armements
Il y a quelques mois encore, les industriels de l’armement et leurs affidés, notamment parlementaires, se plaignaient du manque de financement. Mais depuis quelques semaines un déluge d’argent s’abat en faveur d’un réarmement massif. Une bascule opérée depuis que les pays européens estiment être pris en tenaille entre le poutinisme et le trumpisme.
Emmanuel Macron, en quête d’un retour en grâce dans l’opinion et qui depuis son élection en 2017 n’a eu de cesse de renforcer la militarisation, surfe sur cette vague en s’appuyant sur la peur pour promouvoir un réarmement à la française de l’Union européenne, sous parapluie nucléaire à la clé.
Ce ruissellement d’argent en faveur du militaire aura un coût. L’argent magique n’existe pas. Il se fera au détriment d’autres besoins sociaux qui sont pourtant facteurs d’une paix durable. Réduire la voilure des dépenses sociales pour faire grimper les dépenses militaires n’a jamais développé les solidarités ni renforcé la sécurité humaine. N’assiste-t-on pas à une instrumentalisation de la menace pour poursuivre une politique intérieure qui est contestée ?
La question se pose. Il est nécessaire de prendre du recul face au déferlement médiatique. Les menaces sont d’abord une construction sociale avant d’être une réalité. Il faut déconstruire dans le temps long l’engrenage qui a conduit à cette situation, afin d’agir sur les causes, si notre objectif est bien de les désamorcer.
Au risque sinon d’entrer dans une logique d’escalade dont nous connaissons l’aboutissement : la guerre de tous contre tous et le déferlement de la violence. Ne nous laissons pas piéger par une perception émotionnelle élaborée sur des narratifs définis par d’autres. La menace fait partie de ces mots fourre-tout qui, en polarisant sur la peur, permettent de repousser l’analyse de nos responsabilités et donc d’agir pour éviter que la menace advienne.
L’invasion de l’Ukraine en 2022 par les troupes russes, sous menace nucléaire du président Vladimir Poutine – suivie en janvier dernier de l’accession de l’autocrate Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique –, est venue raviver la crainte d’une guerre en Europe. Pour nombre de commentateurs et de dirigeants politiques, la seule perspective est le renforcement de la militarisation de la société via l’augmentation des dépenses militaires.
En fait, la mise en avant de la menace sert de ciment au roman national pour souder la population autour du gouvernement. Elle est mise en avant pour camoufler des choix d’orientation politique non consensuels, minoritaires, au bénéfice d’une élite dans une logique d’accumulation de toujours plus de richesse en venant renforcer les inégalités aux sources des guerres. La rhétorique de la menace sert en quelque sorte de bouc émissaire facile.
Elle nous épargne l’organisation d’un débat collectif afin de s’interroger tous ensemble sur les causes structurelles qui sont à l’origine des crises successives que vivent nos sociétés et d’élaborer des perspectives de résistance pour y faire face.
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