Amy Gleason, le cache-sexe de la "muskisation" de l’administration américaine

 

Elon Musk poste sur X, parle et respire "Doge" – acronyme pour "département" de l’efficacité publique – depuis le début de la présidence de Donald Trump aux États-Unis. Difficile dans ces conditions de voir un autre que le très trumpien multimilliardaire à la tête de cette vaste et controversée entreprise de recherche d’économies au niveau fédéral. Et pourtant : la présidence américaine a affirmé mardi 25 février, à la surprise générale, que l’administratrice "par intérim" du Doge s’appelait... Amy Gleason.

Cette quinquagénaire à la formation d’infirmière, ayant déjà servi Donald Trump lors de son précédent mandat, et inconnue du grand public serait ainsi la patronne d’Elon Musk et de son armée de jeunes loups de la tech travaillant pour Doge.

Amy Gleason plus forte qu'Elon Musk ?

L’annonce semble avoir pris par surprise jusqu’à Amy Gleason elle-même. Contactée par la chaîne CBS, elle a refusé de commenter, affirmant simplement qu’elle était en vacances au Mexique.

Il était temps pour la Maison Blanche de révéler qui est censé faire tourner la machine à trouver des milliards d’économie. Cela faisait plus de deux semaines que l’entourage de Donald Trump répétait qu’Elon Musk n’était pas le maître du Doge, malgré toutes les apparences. Sans pour autant donner d’autre nom.

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Donald Trump, quant à lui, a entretenu le flou sur l’organigramme du Doge. Sans en faire officiellement le patron, le président a convié son fidèle conseiller spécial à la première réunion du gouvernement américain, mercredi 26 février, en qualité de représentant et "responsable" de cette opération de purge administrative.

De quoi amener un tribunal à exiger des éclaircissements à un conseiller du président dans le cadre d’un procès opposant 14 États menés par le Nouveau-Mexique au multimilliardaire. Elon Musk ne peut pas être le patron du Doge, a répondu Joshua Fischer, le directeur du Bureau de l’administration de la Maison Blanche. Le PDG de Tesla "ne sert le président qu’en qualité de conseiller spécial et, à ce titre, ne peut pas prendre de décisions exécutives [comme celles qui incombent à un directeur d’agence publique, NDLR]", a résumé Joshua Fischer dans sa réponse au tribunal.

Cachez ce Musk que la justice ne saurait voir

"Il ne fait aucun doute que ce sont Elon Musk et Donald Trump qui donnent les grandes orientations à l’action du Doge, mais pour des raisons politiques et juridiques, il leur fallait un autre nom à mettre en haut de l’organigramme", résume René Lindstädt.

Pour cet expert, Donald Trump cherche avant tout à limiter l’exposition légale. "Il y a un grand nombre de procédures engagées contre l’action du Doge, et la Maison Blanche ne veut pas avoir en plus à la tête de cette organisme controversé un individu qui n’a pas été approuvé par le Congrès ou qui n’a pas été soumis aux vérifications d’usage du FBI", souligne René Lindstädt.

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"Ce n’est pas cette nomination qui va soudain rendre le Doge parfaitement légal devant un tribunal, mais si un juge républicain est saisi d’une affaire concernant cet organisme, ce sera un argument qui pourra faire pencher la balance en faveur du Doge", décrypte Emma Long, spécialiste du fonctionnement des institutions américaines à l’université d'East Anglia, en Angleterre.

Politiquement, "les stratèges et conseillers de Donald Trump savent pertinemment qu’Elon Musk est controversé. Dès qu’on sort des cercles les plus pro-Trump, le patron de Tesla a une cote de popularité qui chute. Nommer Amy Gleason est une opération de communication qui permet de dire à cet électorat plus modéré que c’est au final quelqu’un de normal qui est aux manettes", estime Emma Long.

La "traductrice" du trumpisme pour les fonctionnaires

Amy Gleason coche-t-elle toutes les cases ? On ne sait que très peu de choses sur elle, si ce n'est qu’elle a déjà une carrière de fonctionnaire assez longue. Surtout, "elle était auparavant à l'United States Digital Service (USDS), l’administration qui a été renommée en 'US Doge Service' dans le décret de création de Doge. Cela permet de présenter une certaine continuation", souligne Richard Johnson, spécialiste de politique américaine à l’université Queen Mary de Londres.

Avant d’intégrer l’USDS, elle avait travaillé pour l’équipe spéciale mise en place par Donald Trump après 2020 pour lutter contre la pandémie de Covid-19. C’est donc une habituée du trumpisme et du fonctionnement de la machine administrative. "On peut imaginer un scénario dans lequel Elon Musk pose les grandes orientations et les objectifs à atteindre – qu'Amy Gleason est ensuite chargée de réaliser", explique Richard Johnson.

"Elle peut servir de traductrice du 'trumpisme' pour les fonctionnaires afin de mieux faire passer la pilule des annonces d’Elon Musk", ajoute Emma Long. Elle serait le pompier travaillant de concert avec le pyromane Musk : "Il commence à y avoir des démissions en masse d’agents publics qui préfèrent partir plutôt que d’appliquer les décisions d’Elon Musk. Ce n’est pas bon pour l’image du gouvernement et la Maison Blanche espère peut-être qu’Amy Gleason permettra de limiter la casse", ajoute cette experte.

Pour ce faire, il faut à la fois qu’elle soit acceptée par ses pairs et qu'elle reste une fidèle de Donald Trump. Un sacré mélange. Il semblerait pourtant qu’Amy Gleason corresponde à ce profil très particulier… et que les trumpistes tentent actuellement d’effacer les traces de la proximité de la nouvelle administratrice du Doge avec les hommes du président.

Des liens "cachés" avec Trumpland

C’est du moins ce qu’ont découvert plusieurs médias américains. Peu après la fin du premier mandat de Donald Trump, Amy Gleason, férue de biotech, a collaboré à deux sociétés de ce secteur – Russell Street Ventures and Main Street Health – fondées par le même homme : Brad Smith.

Brad Smith est un trumpiste convaincu : il a été l’un des artisans de la réponse de la première administration Trump à la pandémie de Covid-19, a fait partie de l’équipe de transition après la victoire du candidat républicain en novembre 2024 et… a contribué à créer le Doge avec Elon Musk.

Mais le site de Russell Street Ventures a disparu du Web depuis mi-février, et la page biographique concernant Amy Gleason a été effacée du site de Main Street Health.

Il ne reste plus que le profil LinkedIn d’Amy Gleason pour suggérer les liens entre elle et le trumpisme. Pour les experts interrogés par France 24, il ne fait pas de doute qu’elle sort du même moule que la plupart des autres responsables nommés par Donald Trump : "Ce sont des individus dont la principale qualification est la loyauté à Donald Trump et qui savent que s’ils veulent garder leur emplois, ils doivent continuer à faire ce que le président et ses hommes demandent", conclut René Lindstädt.