«Cyril Hanouna n’est pas un comique anti-élites, à la différence d’un Beppe Grillo en Italie ou d’un Coluche en France»

SMIC à 2300 euros, suppression de 30% des députés, «référendum électronique» chaque mois : le programme présidentiel de Cyril Hanouna, à qui Valeurs Actuelles prête des ambitions présidentielles, se veut révolutionnaire. La future tête d’affiche du groupe M6, qui entretien le doute sur ses réelles intentions, s’apprête-t-elle à marcher dans les pas de figures populistes comme Donald TrumpJavier Milei, ou plus anciennement le cofondateur du mouvement 5 étoiles italien Beppe Grillo ? C’est ce que considère Jacques de Saint-Victor, historien du droit et des idées politiques, et enseignant à l’Université Sorbonne Paris-Nord. Il est l’auteur du livre Les antipolitiques (Grasset).

Le Figaro - L’hebdomadaire Valeurs Actuelles fait sa Une sur la potentielle candidature de l’animateur Cyril Hanouna à l’élection présidentielle de 2027. Que cela vous inspire-t-il ?

Jacques de SAINT-VICTOR .- Ce qui me frappe dans le programme qui lui est prêté, c’est la volonté affichée de réintroduire de la démocratie directe, via des consultations électroniques et de réunions hebdomadaires. C’est vraiment typique de l’antipolitique. Il s’agit de contourner la représentation classique des partis en utilisant des nouveaux moyens de technologie pour établir un lien direct entre le pouvoir et l’électeur. C’était précisément le fer de lance du mouvement 5 étoiles en Italie, cofondé par Beppe Grillo en 2009. La démocratie directe facilitée par le web a été un élément central de son ascension. Elle reposait sur une philosophie qui tenait en une phrase : «ognuno vale uno, chacun vaut l’autre».

Le mouvement 5 étoiles a pourtant rapidement abandonné cette approche …

Elle n’a effectivement pas du tout fonctionné. Le mouvement avait organisé un système de vote de leurs militants sur le web, mais dans les faits, ils n’ont jamais eu recours à cette «démocratie du clic» pour les grandes décisions. Ils ont fonctionné comme des partis classiques, ce qui a contribué à l’échec du mouvement. Les électeurs ayant eu le sentiment de s’être fait avoir, ils sont rapidement passés à autre chose : le mouvement est aujourd’hui quasi inexistant au Parlement, et dans le pays, cette fascination pour le mouvement populiste est passée. Au contraire, avec Giorgia Meloni, on est entrés dans une séquence conservatrice qui rétablit les grandes divisions droite-gauche.

Cyril Hanouna s’est beaucoup présenté comme une figure antisystème, proche du peuple, tenant un discours de vérité. Pourrait-il porter un discours «anti-élite» lors d’une campagne présidentielle ?

Justement, je ne crois pas qu’il ait chez Cyril Hanouna un discours anti-élites comme il y avait chez les 5 étoiles avec Beppe Grillo, qui disait «aller à la télé, c’est comme aller à ses propres funérailles », ou Coluche en France, que l’on comparait au premier. C’est la différence centrale avec Hanouna. Ce n’est pas un comique anti-élites. Il a animé des grands entretiens au moment de la présidentielle, qui avaient d’ailleurs été très appréciés des candidats. Il n’a pas cette carte de l’antisystème. À cet égard, il est plus proche des présidents américains et argentins Donald Trump et Javier Milei, qui se servent de leur audience médiatique pour imposer leur récit et leur discours de post-vérité, différent du populisme classique.

S’il venait effectivement à se déclarer candidat, les ingrédients pour l’élection d’une telle figure sont-ils réunis en France ?

Les ingrédients existent depuis la crise des subprimes, qui a provoqué une crise de la démocratie représentative. Elle a rebattu les cartes : pendant très longtemps, il y avait une mystique de la politique que les gens croyaient et respectaient. Mais le peuple a pris conscience qu’il avait fait confiance à des gens l’ayant conduit dans une impasse. En même temps, dans les années 2010, les réseaux sociaux ont constitué un véritable accélérateur. Ils ont favorisé et accentué la crise de la démocratie, puisque chacun pense désormais qu’il peut s’exprimer et qu’il a des choses à dire, qu’il doit avoir le droit de prendre la parole. C’est une sorte de retour à la démocratie athénienne fondée sur l’isegoria, la possibilité pour chaque citoyen de s’exprimer à tout moment. C’est à cette période qu’est né le mouvement 5 étoiles en Italie : Beppe Grillo a fondé son succès sur un site très consulté, et c’est ce qui a favorisé son influence dans le jeu politique.

En outre, les régimes présentiels ou semi-présidentiels qui fonctionnent au suffrage universel direct comme la France favorisent la montée de personnalités populistes. En effet, contrairement au régime parlementaire italien, dans lequel les personnalités peuvent se trouver diluées, l’élection présidentielle française laisse la place à la recherche de l’homme providentiel.

Cyril Hanouna n’a jamais caché sa fascination pour Volodymyr Zelensky, ancien humoriste dont il admire la manière de défendre ses idées coûte que coûte. L’animateur français pourrait-il être tenté d’imaginer une forme de filiation avec le président ukrainien ?

Le président ukrainien a effectivement montré que, dans la crise actuelle de nos démocraties, un comique ou un animateur peut susciter un consensus populaire, aussi bien voire mieux qu’un homme politique professionnel.