Les combats interpalestiniens de Jénine au cœur de la polémique sur la suspension d’Al Jazeera

Après l’armée israélienne en septembre dernier, ce sont des policiers de l’Autorité palestinienne qui ont fait une descente dans les bureaux de la chaine d’information en continue Al Jazeera à Ramallah, mercredi 1er janvier, pour ordonner la suspension de ses activités.

Une décision justifiée par des accusations de "désinformation" et "d’incitation à la sédition" qui jette une lumière crue sur les récents affrontements à Jénine entre forces de sécurité de l’Autorité palestinienne et militants opposés à l’occupation israélienne affiliés aux Brigades de Jénine. C’est en effet suite à la diffusion de plusieurs sujets sur ces combats meurtriers entre Palestiniens que la décision de suspendre Al Jazeera a été prise.

L’envoyée spéciale de France 24 à Jénine, Mélina Huet, a décrit une situation de conflit ouvert entre les forces de l’Autorité palestinienne et les militants des Brigades de Jénine, qui rassemblent plusieurs factions de résistance armée issues du Hamas, du Jihad islamique, et de la branche armée du Fatah.

"Dès qu’on pénètre dans la ville de Jénine, on est saisi par le bruit permanent des explosions, des échanges de tirs de snipers et d’armes semi-automatiques. Tout cela se déroule essentiellement dans le camp de réfugiés", affirme Mélina Huet. "Hier j’ai pu échanger avec des commerçants de la ville, certains qui venaient tout juste de rouvrir après 20 jours de fermeture. Ils me disaient tous : on est dans une zone occupée par Israël, on a subi de très nombreux raids de l’armée israélienne (…) et maintenant, on est pris au milieu de tirs fratricides. On n’en peut plus".

Combats interpalestiniens: "les deux camps à Jénine se rejettent la responsabilité des violences"

Les enjeux de ces combats dépassent le cadre de Jénine. Il s’agit notamment pour l’Autorité palestinienne de se positionner auprès de ses partenaires internationaux comme une entité crédible pour reprendre le contrôle de la bande de Gaza après un éventuel retrait israélien.

Combats fratricides

Ces affrontements inter-palestiniens ont causé la mort de 11 personnes depuis le 5 décembre, selon un décompte de l’AFP. Ce bilan comprend cinq membres des forces de sécurité et six civils, parmi lesquels Shatha Sabbagh, une jeune étudiante en journalisme très active sur les réseaux sociaux, abattue dans la nuit du 28 au 29 décembre.

L’Autorité palestinienne a condamné un "crime odieux commis par les hors-la-loi" tandis que la famille de la victime accuse ouvertement un sniper des forces de sécurité palestinienne. Le Syndicat des journalistes palestiniens a, lui, demandé l'ouverture d'une enquête sur "le meurtre" de cette jeune femme âgée de 21 ans. 

L’envoyée spéciale de France 24 sur place a rencontré des militants des Brigades de Jénine qui récusent cette appellation de "hors-la-loi".

"Tout cela sert un objectif selon eux : Mahmoud Abbas voudrait prouver à Israël qu’il peut maintenir l’ordre et donc potentiellement administrer Gaza dans le cas d’un éventuel cessez-le-feu et d’un accord de paix ", rapporte Mélina Huet.

Des policiers palestiniens mis en cause

La journaliste de France 24 s’est également entretenue avec le porte-parole des forces de l’Autorité palestinienne, le général de brigade Anouar Rajab, qui lui a déclaré que les combattants des Brigades de Jénine 'seraient fournis en armes par des puissances étrangères comme l’Iran' afin de servir un 'agenda politique de déstabilisation externe'.

Cette intensification des combats interpalestiniens a été couverte de près par la chaine Al Jazeera, qui a également authentifié et diffusé des extraits de vidéos montrant des violences commises par des policiers de l’Autorité palestinienne. Ces derniers ont été accusés sur la chaine qatarie d'imiter certaines méthodes de l’occupant israélien.

"Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont reproduit certaines des tactiques d’Israël depuis le lancement de leur opération dans le camp début décembre. Elles ont entouré le camp avec des transports de personnel blindés, tiré de manière indiscriminée contre les civils, arrêté et violenté des jeunes hommes, et coupé l’eau et l’électricité", écrivait ainsi un journaliste d’Al Jazeera English le 30 décembre dernier.

La décision de bloquer les activités d’Al Jazeera a en tout cas eu pour conséquence braquer les projecteurs sur le conflit en cours à Jénine. Jeudi 2 janvier, le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a demandé l’annulation de cette décision.