Maîtrise de l’immigration, impôt pour les «plus fortunés», réforme des retraites... Ce qu’il faut retenir du discours de politique générale de Michel Barnier
Il est descendu dans l’arène de l’Assemblée. Nommé il y a un mois à Matignon, Michel Barnier a prononcé mardi après-midi sa déclaration de politique générale. Pendant un long discours d’une heure et demie, le premier ministre a dévoilé les grandes lignes de son projet gouvernemental. Un exercice imposé mais délicat tant les revendications de ses alliés (bloc central et Les Républicains) semblent contradictoires sur les questions fiscales ou migratoires. Alors que le budget 2025 doit être présenté la semaine prochaine, le chef du gouvernement s’est dit «conscient de la gravité et de l'importance de ce moment».
Au cours de son allocution, Michel Barnier a sans surprise été houspillé par la gauche. Notamment par les députés de La France Insoumise qui ont brandi dès le début leurs cartes d’électeurs dans l’Hémicycle. Manière de souligner que le vote des Français n’aurait, selon eux, pas été respecté au regard du choix du premier ministre et de la coloration du gouvernement.
Sur une «ligne de crête», Barnier refuse l’«immobilisme»
Dès le début de son discours, Michel Barnier a reconnu que le gouvernement est, comme beaucoup de Français modestes, «sur une ligne de crête». Raison pour laquelle il a exhorté les députés à «permettre que le pays retrouve le chemin de l'apaisement, de la fraternité et de l'espérance.» Confronté à deux dettes, «budgétaire» et «écologique», le premier ministre n’entend pas «mettre la tête dans le sable ou se lamenter». Contrairement à d’autres qui «subissent ou commentent». «Il n'y a pas de fatalité tant qu'il n'y a pas de fatalisme», a-t-il martelé.
Face à une Chambre basse plus morcelée que jamais, le Savoyard a jugé que les Français «ne pardonneraient pas» à l’exécutif «l'immobilisme» d’ici à la prochaine présidentielle. Puis a promis une «nouvelle méthode», sur une base «d’écoute, de respect et de dialogue». Dans cette optique, il a souhaité «moins de textes mais plus de temps pour en débattre». Tout en se disant «prêt à un partage de l’ordre du jour plus important entre le gouvernement et le Parlement (...) pour accueillir des propositions de loi transpartisanes et ambitieuses».
Sans majorité absolue, Michel Barnier tend la main aux oppositions : «Le mot de compromis, ce n’est pas un gros mot (...) Nous devons faire du dialogue et de la culture du compromis un principe de gouvernement.» Un clin d’œil assumé aux discours de politique générale de Michel Rocard en 1988 ou d’Édouard Philippe en 2017.
Déficit : Barnier s'engage à revenir à 5% en 2025 et 3% d'ici 2029
Comme prévu, le premier ministre a insisté sur l'état préoccupant des comptes publics de la France. La «dette colossale» du pays, établie à 3228 milliards d'euros, est une «épée de Damoclès» qui plane au-dessus de son futur, a-t-il déclaré. «Cette année, le déficit public (...) devrait dépasser 6% de notre richesse nationale», a ensuite ajouté Michel Barnier. Une situation intenable. «Notre responsabilité est d'alléger ce fardeau et de retrouver des marges de manœuvre budgétaire», a lancé l'homme politique, qui s'engage à ramener le déficit à 5% en 2025, puis à «remettre le pays sur la bonne trajectoire» pour atteindre 3% en 2029.
Une «contribution exceptionnelle» des «plus fortunés»
Pour remettre les comptes d'équerre, le premier ministre a cité trois pistes. Le «premier remède» est une baisse massive des dépenses, qui comptera pour les deux tiers de l'effort attendu en 2025. Il faudra, pour cela, «renoncer à l'argent magique» et «faire des choix». Ensuite, Michel Barnier compte améliorer l'efficacité de la dépense publique, en mettant fin aux «doublons, aux inefficacités», ainsi qu'aux fraudes, abus ou rentes injustifiées.
Enfin, l'État va demander un effort fiscal supplémentaire, «ciblé, limité dans le temps et partagé», à certains acteurs. Les grandes et très grandes entreprises «qui réalisent des profits importants» seront ainsi mises à contribution, «sans remettre en cause la compétitivité» de la France. Parallèlement, les «Français les plus fortunés» devront s'acquitter d'une «contribution exceptionnelle», sans que ses contours soient encore précisés. Le gouvernement veillera au grain, et promet de lutter également contre la fraude fiscale et sociale, «y compris en sécurisant les cartes vitales pour éviter le versement indu d'allocations», a avancé le premier ministre.
Retraites, assurance-chômage : Barnier veut «reprendre le dialogue»
Soulignant son souhait d'instaurer un dialogue respectueux avec les partenaires sociaux, le premier ministre a dit vouloir laisser la porte ouverte avec ces acteurs pour négocier «dès les prochaines semaines» sur l'emploi des seniors et l'assurance-chômage. «Ils sont les mieux placés pour apporter des solutions», a-t-il déclaré.
Par ailleurs, le gouvernement veut appliquer la même méthode sur le dossier explosif des retraites. Sans remettre en cause «l'équilibre durable de notre système», les partenaires sociaux seront appelés à «réfléchir à des aménagements raisonnables et justes» de la loi votée en 2013. Ainsi, sur le sujet des retraites progressives ou de l'usure professionnelle.
Pouvoir d'achat : une revalorisation du smic de 2% dès le 1er novembre et un nouveau livret d'épargne
Souhaitant défendre le pouvoir d'achat des plus fragiles, le premier ministre a annoncé une revalorisation anticipée du smic. Son montant évoluera de 2%, au 1er novembre, à la place du 1er janvier, comme le prévoit la loi. Michel Barnier a par ailleurs avancé son souhait de créer un nouveau livret d'épargne «dédié à l'industrie», afin d'appuyer ce secteur.
Énergie : Barnier favorable au nucléaire et au renouvelable
Sur la question énergétique, le premier ministre s'est placé dans la droite ligne du gouvernement sortant, en disant vouloir développer, dans le même temps, le nucléaire et les «énergies renouvelables» - en «mesurant mieux tous leurs impacts», notamment sur l'éolien, a-t-il précisé. Michel Barnier a par ailleurs promis que le DPE - le diagnostic de performance énergétique - serait «simplifié» avec un calendrier «adapté». L'État, par ailleurs, va reprendre ses «travaux de planification», avec, notamment, son troisième plan national d'adaptation au changement climatique.
Logement : plusieurs mesures pour relancer la construction
Outre une modification du DPE, le premier ministre a dit vouloir prendre plusieurs mesures pour soutenir le secteur de la construction, et accompagner les Français vers le logement. Il compte ainsi «faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation “zéro artificialisation nette”» et élargir la possibilité d'accéder au prêt à taux zéro «sur tout le territoire». De même, les normes encadrant la construction et la rénovation doivent être «(simplifiées) au maximum».
«La France doit maîtriser de manière plus satisfaisante» sa politique migratoire
Sur le dossier explosif de la «politique migratoire», une semaine après l'émoi suscité par le meurtre de la jeune Philippine par un ressortissant marocain sous OQTF, Michel Barnier a estimé que l'État ne la «maîtrise plus de manière satisfaisante». Résultat : elle n'atteint plus son «devoir républicain d'intégration».
Promettant d'agir avec «gravité» et «dignité» sur ce dossier, le premier ministre a indiqué que son gouvernement proposerait «de faciliter la prolongation exceptionnelle de la rétention des étrangers en situation irrégulière, pour mieux exécuter les obligations de quitter le territoire français». Mais aussi la restriction de «davantage l'octroi de visas» pour les pays qui rechignent à délivrer les laissez-passer nécessaires à l'expulsion de leurs ressortissants.
Si certaines figures du camp présidentiel ont affiché leurs réticences devant les déclarations fermes du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau sur l'«État de droit», Michel Barnier en demande le «respect».
IVG, mariage pour tous... «Aucune remise en cause»
Balayant les polémiques actionnées par la gauche après la nomination de Bruno Retailleau à l’Intérieur ou de Laurence Garnier à la Consommation, chantres tous les deux d’une ligne conservatrice, Michel Barnier a énoncé mardi ses «propres lignes rouges» sur le plan sociétal, assurant qu'il ne tolérerait «aucune remise en cause des libertés conquises au fil des ans» sur l'IVG, le mariage pour tous ou la PMA. Et assure que son gouvernement n'aurait aussi «aucune tolérance à l'égard du racisme et de l'antisémitisme», du «communautarisme», des «violences faites aux femmes», ou des «accommodements sur la défense de la laïcité».
Fin de vie : Barnier veut «reprendre le dialogue» début d'année 2025
Michel Barnier a annoncé mardi qu'il souhaitait «reprendre le dialogue» avec le Parlement en début d'année 2025 sur le projet de loi sur la fin de vie, dont l'examen avait été suspendu en juin par la dissolution. Pour «accompagner les personnes en fin de vie», «nous allons reprendre le dialogue avec vous, avec le Sénat, les soignants et les associations, en début d'année prochaine sur le projet de loi dont l'examen a été interrompu par la dissolution», a ajouté le premier ministre devant les députés
Barnier «prêt» à réflexion sur le scrutin proportionnel
Serpent de mer de la vie politique, la proportionnelle pourrait-elle être instaurée d'ici les prochaines législatives ? À la tribune de l'Assemblée nationale, le chef du gouvernement se dit «prêt» à «une réflexion et une action sans idéologie». Ce changement du mode de scrutin, réclamé notamment par le Rassemblement national et le MoDem, est, rappelle-t-il, «déjà mis en œuvre au Sénat et dans les collectivités et pratiqué à des degrés différents, chez beaucoup de nos voisins.»
Nouvelle Calédonie : le projet de dégel du corps électoral «ne sera pas soumis au Congrès»
Alors que le projet de loi constitutionnel sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie avait enflammé l'archipel français fin mai, au moment de son examen au Parlement, Michel Barnier veut calmer les esprits. Et annonce que ce texte «ne sera pas soumis au Congrès (réunion de l'Assemblée nationale et du Sénat), comme le confirmera le président de la République». Le premier ministre dit avoir «conscience des souffrances et de l'angoisse que ressentent les habitants de Nouvelle-Calédonie», territoire qui «connaît une crise d'une gravité exceptionnelle.»
Le premier ministre a également annoncé reporter à «fin 2025» les élections provinciales, qui devaient initialement se tenir avant la fin de l’année.