Avec Trump, médecins et chercheurs oscillent entre «panique et incertitude pour la santé publique

Des données épidémiologiques rendues inaccessibles, des recommandations médicales envolées, des cas de tuberculose passés sous le radar, des financements incertains... Avec le retour au pouvoir de Donald Trump, les médecins et chercheurs américains se retrouvent projetés dans l'inconnu. « C'est totalement inédit », confie à l'AFP Natalie DiCenzo, gynécologue membre de l'association de soignants Physicians for Reproductive Health, évoquant « la panique et l'incertitude » qui règnent « chez la communauté médicale et scientifique ».

Comme elle, de nombreux acteurs du secteur manifestent leur préoccupation après que Trump a signé une série de décrets visant à remodeler la politique américaine, notamment sur la science climatique et la santé publique. Le nouveau gouvernement américain a suspendu les communications des agences sanitaires fédérales et a entrepris un remodelage de leurs sites internet. Sur celui des Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), un bandeau informe ainsi que les pages sont « en cours de modification pour se conformer aux décrets du président Trump », notamment ceux visant les politiques de diversité. « Il n’est pas inhabituel qu’une nouvelle administration fasse une pause jusqu’à ce qu’elle ait mis en place ses nouvelles personnesa indiqué à la revue scientifique Nature Monica Bertagnolli, directrice des National Institutes of Health sous le gouvernement Biden. Mais ce qui a accru l’anxiété, c’est le mandat explicite de cette administration de remanier complètement la santé. » Le candidat de Trump pour le ministère de la Santé, Robert Kennedy Jr, est connu pour ses positions antivaccins voire conspirationnistes.

Ce qui m’a le plus intrigué, c’est la suppression des directives sur les infections sexuellement transmissibles. Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de radicalement gauchiste dans le traitement de la gonorrhée.

Natalie DiCenzo, gynécologue membre de l’association de soignants Physicians for Reproductive Health

Ces derniers jours, des bases de données variées allant des cas de Covid long à celles sur la dépression y ont disparu, tout comme des ressources sur les biais racistes en médecine ou encore des mentions au « genre ». « Ce qui m'a le plus intrigué, c'est la suppression des directives sur les infections sexuellement transmissibles, raconte Natalie DiCenzo. Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de radicalement gauchiste dans le traitement de la gonorrhée. » Certaines pages, notamment sur la grippe aviaire, sont réapparues après une brève absence, tandis qu'une application à destination des soignants a disparu des plateformes de téléchargement, occasionnant une grande confusion.

Au premier rang des préoccupations : le manque de transparence quant aux informations supprimées ou modifiées, et l'arrêt des principales communications extérieures. Jennifer Nuzzo, professeure d'épidémiologie à l'université Brown, s'inquiète ainsi de changements réalisés « non pas par des scientifiques, mais par des politiques » et « sapant les politiques de santé publique ».

Gel des communications

« Le gel des communications a empêché les CDC de tenir les autorités sanitaires locales informées des sujets comme la grippe aviaire, qui a déjà tué une personne aux États-Unis  » et circule fortement chez les volailles et dans les troupeaux de bovins, regrette-t-elle auprès de l'AFP. De même pour « l'une des plus grandes épidémies de tuberculose de l'histoire moderne du pays », actuellement enregistrée au Kansas. Ces cas auraient dû faire l'objet de rapports épidémiologiques des CDC, insiste-t-elle.

Or, depuis l'investiture de Donald Trump, la publication de ces documents de référence, publiés chaque semaine depuis plus de soixante ans, a été interrompue. Et plus le temps passe, plus l'incertitude croît, insiste Mme Nuzzo. « J'en suis à me demander si nous pourrons faire confiance aux données (rapportées par les CDC) ou si des éléments seront dissimulés pour une raison ou une autre », confie ainsi Rebecca Christofferson, chercheuse à l'université d'État de Louisiane.

À la recherche de parades

Face à cette situation inédite, la communauté scientifique a commencé à se mobiliser pour trouver des parades. Caitlin Rivers, chercheuse à l'université Johns Hopkins, raconte ainsi « compiler les données à la main » depuis deux semaines afin d'assurer une surveillance continue de la circulation de la grippe. Quant aux informations disparues des sites officiels, plusieurs personnes dont Jessica Valenti, activiste féministe et créatrice d'une newsletter consacrée aux droits reproductifs, ont entrepris d'archiver des bases de données et des pages du site des CDC avant qu'elles ne soient supprimées. « L'espoir est d'en faire une ressource pour les personnes qui en ont besoin », explique-t-elle.

« À ce stade, nous ne pouvons pas compter sur ces institutions pour nous sauver. Je pense que les chercheurs et les professionnels de la santé devraient collectivement s'inspirer des activistes », abonde Natalie DiCenzo, pointant le travail mené depuis des décennies par les organisations de défense de l'avortement et LGBT+. Parmi les priorités à défendre : celle de continuer à soigner tout le monde « de manière égalitaire », au moment où l'administration Trump s'attaque en particulier aux personnes transgenres et non-binaires ainsi qu'aux droits reproductifs. « Vous savez, dans la communauté scientifique et universitaire, nous sommes futés, nous trouverons si nécessaires d'autres moyens de faire circuler les informations », assure Mme DiCenzo.

Autre inquiétude, le gel des financements de la recherche universitaire par la National Science Foundation (NSF), qui a affirmé « se conformer aux directives du président Donald Trump visant à mettre fin au financement des efforts en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) et à supprimer toutes les ressources fédérales de ces termes », indique un article d’actualité publié sur le site de Nature . Les fonds ont été dégelés après qu’un juge fédéral a émis une ordonnance interdisant au gouvernement américain de geler les subventions, mais cette séquence montre que « les États-Unis ne sont pas un endroit stable pour être un scientifique », a déclaré à Nature Julia Barnes, anthropologue culturelle financée par la NSF à l’Université du Tennessee à Knoxville.