Notre critique de Trois amies: formidable défoule sentimentale

C’est son problème. Emmanuel Mouret croule sous les références. Parce qu’il jouait dans ses films, on l’a comparé à Woody Allen. Ses personnages parlaient beaucoup ? Il était l’héritier d’Éric Rohmer. Son dernier titre ne va pas arranger les choses. La Fontaine aurait pu l’utiliser pour désigner l’une de ses fables.

Elles sont trois, donc. Elles habitent Lyon (on est prié ici de ne pas convoquer la figure tutélaire de Bertrand Tavernier). La quarantaine leur va bien. Joan (India Hair) a un souci. Elle s’est lassée de son compagnon et elle trouve honnête de l’en informer. Cela l’embête vraiment. C’est une fille qui a des principes. Sa copine Alice (Camille Cottin) lui remonte le moral : de son côté, elle n’a jamais été amoureuse d’Éric (Grégoire Ludig) et cela n’empêche pas leur relation d’être assez harmonieuse.

Il y a aussi la tonique Rebecca (Sara Forestier), qui a des rendez-vous secrets avec un homme marié. On voit qu’il est permis de badiner avec les intermittences du cœur. Mouret ne s’en prive pas. L’amour s’en va, la tendresse revient. Voilà l’équation à résoudre. Le désir, lui, est toujours le premier à partir. C’est comme ça. On l’apprend à ses dépens, avec désolation au début, puis avec un sourire ensuite. Un accident de voiture mettra une dose de gravité dans ces chassés-croisés. Ils sont nombreux et inattendus. Le scénario s’offre de multiples triples axels et retombe à chaque fois sur ses pieds.

Mouret est un virtuose. Les sentiments avec leurs aléas sont sa cour de récréation. Il y a les choses qu’on dit, et celles qu’on n’ose pas faire. Les héros sont enseignants, artistes, écrivains. À la rentrée des classes, les remplaçants serrent des mains. Comme dans Sunset Boulevard, une voix off ponctue l’action. La fragile, la subtile India Hair, dévorée de culpabilité, se hisse au rang qu’elle méritait. Elle ne sait pas trop ce qu’elle veut. 

Camille Cottin, sous ses grands airs, se révèle le dindon de la farce. Dans le rôle de la très excitée Rebecca, Sara Forestier déploie une sensualité roborative. Damien Bonnard, qui a publié Heureuse complexité, joue les essayistes modestes (oxymore). Vincent Macaigne, désemparé, se débat avec sa tristesse, arrondit les angles, fournit une morale à tous ces couples qui se mélangent les pinceaux. Éric Caravaca campe un peintre coté qui offre ses toiles comme il enverrait des billets doux.

Des fantômes pas pesants

Emmanuel Mouret montre des week-ends à la campagne, visite une ferme avec ses animaux, se promène dans la forêt des malentendus. Chez lui les appartements regorgent de livres, ce qui n’étonnera personne. Tout finit bien, puisque tout finit - la formule est de Chardonne, spécialiste du mariage, auquel on n’a pas encore affilié Mouret (trop tard). Il y a un après. Il ne faut pas en faire un drame, juste un film, drôle et délicat, français jusqu’au bout de la pellicule. On y aperçoit même des fantômes sans que cela soit pesant. Trois amies ressemble à de la très fine dentelle. Mouret est un auteur, un vrai. Bientôt, c’est lui qui servira d’exemple. Enfin.