Comment l’entreprise OpenEvidence se rêve en «ChatGPT des médecins»

Choisir le bon médicament pour un patient atteint d’un cancer de la prostate en se basant sur les dernières recherches en matière d’efficacité. Accéder à des conseils d’experts dans une zone rurale. Identifier les symptômes d’une embolie pulmonaire avant qu’il ne soit trop tard. Les médecins sont en permanence à l’affût d’informations pour mieux soigner. Or le nombre de publications médicales double tous les cinq ans, avec un nouvel article publié toutes les trois minutes. Et les bases de données médicales existantes sont lentes, fragmentées, nécessitant des recherches manuelles fastidieuses qui détournent les médecins de leurs patients.

Conséquence : les médecins, qui manquent cruellement de temps et ont besoin d’informations précises pour affiner un diagnostic ou une prescription, sont souvent submergés. Et ils n’ont pas le droit à l’erreur. C’est pour s’atteler à ce dilemme que la start-up américaine OpenEvidence a vu le jour il y a deux ans. Elle propose un moteur de recherche dopé à l’intelligence artificielle qui agrège et synthétise plusieurs dizaines de millions de publications. Sa force est de s’appuyer sur les bases de données de revues médicales ou d’établissements reconnus mondialement (The New England Journal of Medicine, Mayo Clinic Platform, Jama Network…) via des contrats de licence et non sur le web, qui présente des risques en termes de qualité et de fiabilité.

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Éviter les approximations et hallucinations des assistants IA

Car si ses deux fondateurs, Daniel Nadler et Zachary Ziegler, ont voulu créer un « ChatGPT pour les médecins et professionnels de santé », l’enjeu était d’éviter les erreurs, approximations et hallucinations, encore fréquentes avec les IA conversationnelles.

En moins d’un an, OpenEvidence a conquis plus de 10.000 hôpitaux et centres médicaux à travers le pays et plus de 40 % des médecins américains. La start-up revendique 65.000 nouvelles inscriptions de médecins chaque mois grâce au bouche à oreille, ce qui en ferait l’une des technologies les plus rapidement adoptées par les médecins, selon l’un de ses investisseurs d’origine, le fonds Sequoia Capital. Chaque mois, elle répondrait à plus de 8,5 millions de questions de médecins.

Le modèle d’OpenEvidence, qui est gratuit pour les professionnels de santé, repose sur la publicité, comme le moteur de recherche de Google. Ses annonceurs sont essentiellement des laboratoires pharmaceutiques. L’entreprise génère actuellement 50 millions de dollars par an de revenus publicitaires. Elle ne consommerait « que » 10 millions de dollars par trimestre, essentiellement en serveurs et modèles d’intelligence artificielle.

Modèle économique basé sur la publicité

Basée à Cambridge (Massachusetts), au cœur de l’écosystème des sciences de la vie, OpenEvidence peut compter sur l’entregent de ses fondateurs, diplômés du MIT et de Harvard. L’un d’eux, Daniel Nadler, est un serial entrepreneur qui a vendu en 2018 une start-up d’IA, Kensho, pour 700 millions de dollars à l’agence financière S & P.

Avec OpenEvidence, ils ont réussi à séduire les investisseurs. Depuis ses débuts, la start-up a levé près de 300 millions de dollars, dont 210 millions en juillet dernier, pour une valorisation de 3,5 milliards de dollars auprès des fonds Google Ventures, Kleiner Perkins et Sequoia Capital. Elle plancherait déjà sur un nouveau tour de table, autour de 100 millions de dollars, selon le média spécialisé The Information. Une opération qui la valoriserait cette fois 6 milliards de dollars… Elle lui permettrait de continuer à alimenter son moteur de recherche avec de nouvelles revues médicales et, pourquoi pas, d’acheter des jeunes pousses, spécialisées dans les données de santé, afin d’étendre sa palette de services à destination des hôpitaux et des médecins. Un moyen de mettre les bouchées doubles dans un secteur très concurrentiel, l’intelligence artificielle ayant décuplé les ambitions dans la santé.

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Concurrence féroce dans la santé

OpenEvidence devrait trouver sur sa route le champion de l’IA générative, OpenAI, qui cherche désormais à cibler les professionnels de santé avec des assistants IA adaptés. ChatGPT répond déjà à de nombreuses requêtes de patients-utilisateurs concernant la santé. Mais OpenAI entend bien aller plus loin. L’entreprise a embauché la semaine dernière un ancien de Facebook dans le but de se renforcer dans la santé.

La concurrence est féroce dans ce domaine avec une multitude de start-up qui ont émergé ces dernières années. Lors de sa dernière levée de fonds, la jeune pousse Abridge, dont le logiciel permet de retranscrire les consultations des médecins, a vu sa valorisation atteindre 5 milliards de dollars, deux fois plus que lors de son précédent tour de table trois mois auparavant. Même chose pour Ambience, l’un de ses rivaux, dont la valorisation a dépassé 1 milliard de dollars, trois fois plus qu’il y a deux ans.

Dans cette course, l’Hexagone n’est pas en reste, avec des jeunes pousses comme Nabla - déjà parti à l’assaut des États-Unis - ou comme la licorne Doctolib. Cette dernière, qui s’est imposée dans les cabinets médicaux avec la prise de rendez-vous, ne cesse d’étendre son offre de services, en proposant notamment la retranscription des consultations et la dictée de comptes rendus. Selon nos informations, l’entreprise plancherait actuellement sur un « chat » dopé à l’intelligence artificielle qui agrégerait les connaissances médicales afin de répondre aux questions des parents, parfois démunis face aux maux du quotidien. Cet outil serait construit avec plusieurs institutions scientifiques afin de garantir la précision des informations. La révolution de l’intelligence artificielle dans la santé est en cours.