«C’est une honte» : à Lyon, ces conducteurs de «Crit’Air 3» n’ont pas l’intention de changer de véhicule

Depuis le 1er janvier, comme à Paris, Grenoble et Montpellier, les véhicules Crit’Air 3 ne peuvent plus circuler dans le centre de l’agglomération lyonnaise, où une zone à faibles émissions (ZFE) a été mise en place. Une interdiction décidée en 2021 par l’État dans le cadre loi « climat et résilience » qui heurte de plein fouet le quotidien de nombreux riverains : 16,6 % du parc automobile particulier immatriculé dans la métropole est directement concerné, soit 112.955 véhicules. Un chiffre qui monte à 191.357 si l’on intègre les intercommunalités voisines.

« C’est odieux, c’est une honte », se désespère Jean-François en garant sa voiture sur le parking du Grand Frais de Bron, une commune limitrophe de la capitale des Gaules, concernée elle aussi par la ZFE. Ici, les voitures Crit’Air 3 sont facilement repérables : elles n’arborent tout simplement aucune vignette. « Pourquoi en acheter vu qu’on ne peut plus rouler ? », ironise Michel, qui a acheté son véhicule « il y a un an »

«Pas les moyens» de changer de voiture

Cuisinier en préretraite et travailleur handicapé, Jean-François prend le bus « quand il le peut » pour aller au travail depuis son domicile de Vénissieux, dont une partie est dans le périmètre de la ZFE. « Mais le soir, je termine tard et ce n’est pas simple de se déplacer en transports en commun. Parfois, je rentre même après minuit et ça peut “craindre” à cette heure-là », confie-t-il. Le monospace de Florian*, policier, n’affiche lui non plus aucune vignette. Il devrait être classé Crit’Air 4 et l’agent explique avoir déjà reçu une amende à Lyon pour cette raison. Mais pas question pour lui de changer. « Je me gare en souterrain quand je vais à Lyon pour éviter les contrôles. J’ai acheté ma bagnole il y a quatre ans, après mon divorce. J’ai un crédit dessus, donc je n’ai pas les moyens d’en changer », détaille le gardien de la paix.

Tcheka, mère au foyer, est venue faire ses courses avec son fils dans sa Polo Crit’Air 3. Sa situation est kafkaïenne. Vivant dans le 8e arrondissement de Lyon, dans un logement social, elle ne peut théoriquement plus circuler dans sa propre ville. Alors, en ce 2 janvier, elle a « bravé la loi » pour remplir son frigo. « Ce n’est pas nos élus qui vont porter mes packs d’eau et de lait ! Et moi je ne peux pas les transporter dans un tramway », cingle-t-elle. La mère de famille n’a pas prévu de changer sa voiture, achetée « quasi neuve » il y a plus de quinze ans : « Elle est vieille mais elle affiche seulement 100 000 kilomètres au compteur. S’ils me donnent 10 000 euros, je peux en trouver une nouvelle mais sinon je n’ai pas les moyens. » « On a l’impression que c’est quand même toujours les mêmes - les plus pauvres - qui prennent », abonde Florian.

«Les jeunes vont rouler avec quoi ?»

Dans la métropole de Lyon, la fracture territoriale liée au Crit’Air 3 est flagrante. Quand environ 8 % à 10 % des voitures immatriculées possèdent cette vignette dans l’ouest de l’agglomération, où se concentrent les communes les plus aisées, ce chiffre monte à 23,2 % à Vaulx-en-Velin ou 23,3 % à Vénissieux, deux des villes les plus pauvres. « On comprend qu’il faille protéger l’environnement, poursuit Jean-François. D’ailleurs j’ai l’impression que les gens prennent les transports en commun quand ils le peuvent, mais la plupart du temps on n’a pas d’autres solutions que de prendre la voiture. » Lui aussi ne changera pas de véhicule malgré l’interdiction. Il vient d’ailleurs de dépenser 1000 euros pour en remplacer l’embrayage et les pneus. 

Tcheka, elle, continuera de rouler avec sa Polo : « Pas le choix, il faut bien faire les courses et emmener les enfants au foot. » Elle pense également à sa fille, qui doit passer le permis prochainement. « Je ne sais pas comment vont faire les jeunes. On a tous débuté sur une vieille voiture. Mais, aujourd’hui, qui aura les moyens de mettre 10.000 euros pour être en règle. Ils vont rouler avec quoi ? », questionne la mère de famille.

Des contrôles automatiques en 2026

Pour ces automobilistes, contrevenir à l’interdiction les expose à une amende de 68 euros. Plusieurs dérogations ont toutefois été mises en place par la métropole, dont une pour les travailleurs en horaires décalés, valable jusqu’au 31 décembre 2026. Cette exception concerne les utilisateurs de véhicules particuliers Crit’Air 3 (voitures et deux-roues) qui circulent dans la ZFE et qui débutent et/ou terminent régulièrement leur activité professionnelle entre 21 heures et 6 heures, plus de 52 jours par an. Une dérogation « petit rouleur » a également été mise en place et permet de circuler et stationner au sein du périmètre 52 jours par an maximum avec un véhicule Crit’Air 3 ou supérieur.

Pour le moment, aucun système de contrôle automatique des vignettes n’est opérationnel. Il devrait l’être en 2026. Aussi, le contrôle repose principalement sur les communes. Si Villeurbanne a décidé de temporiser sur la distribution de PV pour non-respect de la ZFE, la ville de Lyon, elle, a déjà accéléré la cadence. Selon Tribune de Lyon, la municipalité est passée d’une centaine de verbalisations par mois début 2024 (pour les Crit’Air 4 et supérieur) à plus de 1500 au cours de l’été.

* Le prénom a été modifié