Ce mardi 10 juin, Donald Trump a brandi une menace lourde de conséquences : activer l’Insurrection Act, une loi datant du XIXe siècle permettant au président des États-Unis de mobiliser l’armée sur le sol américain pour maintenir l’ordre, en faisant notamment appel aux troupes d’ordinaire envoyées à l’étranger.
Depuis vendredi dernier, des manifestants s’opposent aux politiques migratoires et aux arrestations et expulsions de clandestins menées par l’agence ICE (Immigration and Customs Enforcement). Alors que Donald Trump continue de durcir son discours sur l’immigration, la patrouille frontalière américaine a seulement enregistré 8300 arrestations de migrants en 2024, soit le nombre le plus bas de franchissements de la frontière depuis 2000.
En réponse à l’escalade des violences, les autorités fédérales ont renforcé leur présence militaire, un déploiement exceptionnel estimé à 134 millions de dollars par le Pentagone. Donald Trump a déployé, sans base légale, 4000 soldats de la Garde nationale, ainsi que 700 Marines en service actif, à la grande colère des démocrates. Les Marines n’ont pas le droit de participer à des activités de maintien de l’ordre à moins que le président n’invoque officiellement la loi sur l’insurrection.
Qu’est-ce que l’Insurrection Act ?
Selon Joseph Nunn, expert juridique au Brennan Center, l’Insurrection Act est en réalité un ensemble de trois lois adoptées entre 1792 et 1871, chacune répondant à des cas de figure spécifiques.
L’article 251 permet au président de déployer des troupes à la demande du corps législatif d’un État, lorsqu’une insurrection locale dépasse les capacités des autorités civiles. Il s’agit de la disposition la plus ancienne et la plus fréquemment utilisée.
En revanche, les articles 252 et 253 autorisent une intervention sans l’accord de l’État concerné, voire contre sa volonté. L’article 252 s’applique pour «faire respecter les lois» si une «rébellion» rend impossible l’application des lois fédérales par les voies exécutives habituelles. L’article 253, plus large, comporte deux volets. Il permet au président d’utiliser l’armée pour réprimer «toute insurrection, violence domestique ou complot» qui empêche l’exécution des lois, ou qui entrave le fonctionnement de la justice fédérale.
Ces textes constituent une exception au Posse Comitatus Act de 1878, qui interdit normalement l’usage de l’armée dans les affaires civiles. Rédigés de façon très générale, ils offrent au président une large marge d’appréciation, sans encadrement judiciaire strict.
«S’il y a une insurrection, je l’invoquerai certainement»
Donald Trump avait déjà envisagé d’utiliser cette loi en juin 2020, lors de son premier mandat, à la suite des émeutes provoquées par la mort de George Floyd. Il avait alors appelé les gouverneurs à mobiliser massivement la Garde nationale pour rétablir l’ordre, sans toutefois aller jusqu’à déclencher l’Insurrection Act.
Aujourd’hui, Trump revient à la charge. Le 1er janvier 2025, celui-ci, qui n’exclut pas l’utilisation de cette loi, a signé un décret demandant à ses secrétaires à la Défense et à la Sécurité intérieure de formuler des recommandations pour renforcer le contrôle de la frontière sud. Ce mardi 10 juin, le locataire de la Maison-Blanche a déclaré que «s’il y a une insurrection, je l’invoquerai certainement. Nous verrons.»
Malgré son existence depuis 218 ans, l’Insurrection Act a seulement été utilisée 30 fois. Elle fut invoquée par Abraham Lincoln en 1861 durant la Guerre de Sécession, par Ulysses S Grant pour lutter contre la violence du Ku Klux Klan en 1871, et par Dwight Eisenhower en 1957 pour imposer la déségrégation dans les écoles d’Arkansas. Plus récemment, en 1992, le président George H. W. Bush l’a activée lors des émeutes de Los Angeles, après l’acquittement de policiers impliqués dans le passage à tabac de Rodney King.
Des limites juridiques floues
L’une des critiques majeures adressées à cette loi réside dans l’imprécision de son cadre légal. L’expert juridique au Brennan Center a dénoncé dans son article que «la loi sur l’insurrection ne définit pas clairement les conditions de son utilisation et accorde un pouvoir unilatéral au président». Des termes clés comme «insurrection», «rébellion» ou «violence domestique» ne sont jamais précisément définis, ce qui laisse la porte ouverte à des interprétations abusives. Pour Joseph Nunn, cette loi représente un outil dangereux, car elle permet à un président d’agir sans réel contre-pouvoir.
La Cour suprême elle-même a reconnu que l’appréciation de la loi relève uniquement du président, sans accord de l’État concerné. Or, Donald Trump n’a pas encore invoqué la loi. C’est pour cette raison que le gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom, s’oppose fermement aux déploiements de troupes militaires.
Dans une ordonnance de suspension temporaire, le juge Charles Breyer, du district nord de la Californie, a ainsi déclaré «illégale» la prise de contrôle de la Garde nationale par l’administration fédérale. Il a estimé ce jeudi que Donald Trump « n’avait pas suivi la procédure requise par le Congrès pour ses actes » et a exigé que le contrôle revienne à Gavin Newsom. Il lui reproche également d’avoir abusé de l’interprétation de la loi, en invoquant une situation qui ne répond pas aux critères exigés. Les manifestations à Los Angeles, bien qu’émaillées de tensions, ne constitueraient pas une rébellion au sens juridique. Fidèle à sa ligne de confrontation avec l’appareil judiciaire, Donald Trump a aussitôt contesté ce jugement. Le ministère de la Justice a déclaré une «ingérence extraordinaire» du pouvoir judiciaire.