Aurélie Jean : «Elon Musk est-il vraiment le réactionnaire que la gauche pense qu’il est ?»

Aurélie Jean : «Elon Musk est-il vraiment le réactionnaire que la gauche pense qu’il est ?»

«Musk serait prêt à tout pour défendre ses libertés à lui, et surtout celles de ses entreprises, quitte à s’arranger avec des idées conservatrices auxquelles il ne croit aucunement.» Benoit Tessier / REUTERS

FIGAROVOX/CHRONIQUE - La prochaine entrée en fonction d’Elon Musk dans le gouvernement Trump prouve moins sa conversion idéologique au conservatisme qu’elle ne lui permet de défendre les intérêts de ses entreprises au sommet de l’État, estime notre chroniqueuse.

Passer la publicité

Aurélie Jean est docteur en sciences. Elle a notamment publié Les algorithmes font-ils la loi ? (L’Observatoire, 2022). Dernier livre paru : Le code a changé. Amour et sexualité au temps des algorithmes (l’Observatoire, 2024).


En novembre dernier, Donald Trump fraîchement élu 47ème président des États-Unis déclarait qu’il nommerait à son arrivée à la Maison Blanche, Elon Musk à la tête d’un futur «ministère de l’efficacité gouvernementale ». Une multitude de déclarations de la part du patron de X , Tesla mais aussi Space X, sur ses premières mesures ont suivi cette annonce - je cite - «d’assèchement des dépenses fédérales». Sans rediscuter du paradoxe d’une telle mesure au regard du soutien passé de l’État fédéral américain aux nombreuses aventures entrepreneuriales de Musk, on est en droit de s’interroger sur le positionnement politique, idéologique et philosophique de Musk dont certains avancent qu’il est conservateur voire réactionnaire…. À tort.

Depuis sa prise en main de X (Twitter au moment du rachat), Elon Musk se rapproche apparemment de plus en plus d’idées conservatrices et a fait sienne la critique du wokisme. Elon Musk est, et restera, un libertarien dans son sens idéologique et philosophique. Il cherche à tout prix à défendre les droits individuels tout en minimisant, voire en supprimant, le rôle de l’État. Cela le distingue des libéraux conservateurs ou progressistes, qui adoptent une approche plus mesurée des libertés et des responsabilités individuelles, en accordant de l’importance à l’État et à certains combats sociétaux. Mais Musk serait prêt à tout pour défendre ses libertés à lui, et surtout celles de ses entreprises, quitte à s’arranger avec des idées conservatrices auxquelles il ne croit aucunement. Car, au fond, si les idées conservatrices actuelles ne convenaient pas à ses intérêts particuliers, il les pourfendrait.

Il est d’ailleurs intéressant de rappeler qu’Elon Musk est un homme de transactions plus que de convictions, à l’instar du prochain président américain qui ne cherche aucunement à faire des accords avec les autres dirigeants étatiques mais bien à réaliser des transactions financières. Les récentes discussions qui ont suivi l’annonce de Trump sur l’augmentation significative des droits de douane concernant les produits importés aux États-Unis en sont un exemple.

Par ailleurs, et pour éviter de mettre tous les libertariens dans le même panier, on pourrait préciser que Musk ferait en réalité partie d’une branche particulière du libertarianisme qu’est l’anarcho-capitalisme. Dans cette branche, l’État n’existe plus et le capital et la propriété privée en sont les valeurs uniques.

Force est de constater ici que Musk n’est pas à un paradoxe près : lui qui veut réduire l’État dans toutes ses fonctions en rejoindra prochainement les instances les plus hautes. On rappellera aussi que lui qui défend tant la liberté d’expression a demandé explicitement aux équipes de développeurs, dès son arrivée à la tête de Twitter, de mettre en avant ses propres posts. Car dans un monde libertarien, toute liberté d’expression est à la disposition de celui qui l’exerce en premier. De même, un homme qui défend en une décennie et de manière consécutive des candidats démocrates, l’activiste d’extrême droite Jake Angeli, et le candidat Trump, ne peut avoir de vision politique claire. Le milliardaire s’arrange avec les valeurs conservatrices qu’il décide de soutenir quand elles s’attaquent à des dimensions sociales et économiques qui viennent limiter son pouvoir et ses libertés.

En d’autres termes, rien n’empêche de penser qu’un jour Musk s’oppose à des candidats conservateurs en s’arrangeant avec d’autres mouvements (quels qu’ils soient) dans l’objectif unique de protéger ses intérêts. Musk est un libertarien anarcho-capitaliste, et non pas le conservateur voire le réactionnaire que certains croient qu’il est.