Ligue 1 : prix de l'abonnement, diffusion et accessibilité... Cinq questions sur la nouvelle chaîne créée par la LFP qui diffusera le championnat de France
Après les échecs successifs des précédents diffuseurs de la Ligue 1, la Ligue de football professionnel (LFP) a décidé de reprendre en main le sujet des droits TV en créant sa propre chaîne de retransmission. Si le projet éditorial reste encore flou, les premières lignes ont été dévoilées mardi 1er juillet par communiqué. "Plus immersive et portée par l’ensemble des clubs de Ligue 1 McDonald’s, la plateforme diffusera dès la reprise du championnat le 15 août prochain les dix plus belles affiches de la saison, huit matches en direct en exclusivité chaque journée du vendredi au dimanche, accompagnés d’un grand magazine disponible – proposé en clair – le dimanche soir", peut-on lire sur le document.
Si la Ligue a donné rendez-vous le 10 juillet pour plus de détails, franceinfo: sport a décortiqué les premières annonces avec Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport et codirecteur de l'Observatoire du sport à la Fondation Jean Jaurès.
Combien faudra-t-il débourser pour suivre la L1 ?
Cette nouvelle chaîne "made in LFP" proposera un abonnement mensuel à 14,99 euros avec engagement. Pour ce prix, la LFP proposera huit des neuf rencontres, la dernière étant retransmise par un autre diffuseur, beIN Sports, dont le contrat court jusqu'à la fin de cette saison 2025-2026. Pour suivre l'intégralité du championnat de France, il faudra ainsi débourser 14,90 euros supplémentaires pour ce dernier match, soit près de 30 euros par mois.
"On revient finalement à la même chose que l'on avait précédemment avec DAZN, même si l'abonnement est un peu moins cher [l'abonnement mensuel était à 29,99 euros à son lancement pour huit matchs], commence Pierre Rondeau. En termes d'offres, il faudra deux chaînes pour suivre l'ensemble du foot français. Par définition, le fan de foot va aussi apprécier la coupe d'Europe et la Premier League par exemple, diffusée par un troisième diffuseur Canal+. Il lui faudra alors ajouter un abonnement. Au final, cela revient à un prix élevé".
Où la Ligue 1 sera-t-elle accessible ?
Sur ce sujet, la LFP voit grand. "La Ligue a une stratégie de vouloir être présente partout, sur tous les fournisseurs d'accès internet (FAI) et d'être distribuée sur toutes les plateformes comme Amazon et Netflix ou les Smart TV, pour toucher le plus de monde possible", explique le spécialiste de l'économie du sport. Toutefois, on ne sait pas encore si Canal+ sera un simple distributeur, après s'être positionné sur une exclusivité des droits rejetée par la Ligue faute de proposition financière suffisante.
La stratégie choisie par la Ligue rappelle celle mise en place par Mediapro et DAZN, à la seule différence que l'argent récupéré des abonnements ira directement dans les poches de la LFP. "Initialement, l'ayant droit payait la LFP. Qu'il y ait 100 000 ou 10 millions d'abonnés, la somme touchée par la LFP restait la même", souligne Pierre Rondeau.
"Aujourd'hui, la stratégie de la LFP est de capter le plus d'abonnés possible afin d'avoir un chiffre d'affaires conséquent et donc de redistribuer suffisamment d'argent au club pour éviter la faillite."
Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sportà franceinfo: sport
Ce choix s'accompagne "d'un effort de positionnement qui pourrait aussi coûter de l'argent, parce qu'il y a des frais de production qui sont inhérents à cette stratégie. Il faut voir s'ils s'y retrouvent", tempère-t-il.
Par ailleurs, cette stratégie de visibilité pourrait aussi avoir d'autres inconvénients, comme notamment sur les accords de diffusion. "Quand une chaîne se présente auprès d'acteurs distributeurs, que ce soit les plateformes ou les FAI, celle-ci va exposer sa force de frappe, qui est le nombre d'abonnés qu'elle pourrait attirer grâce à sa marque, vulgarise Pierre Rondeau. La chaîne va alors négocier des accords de diffusion avec les plateformes et FAI afin de savoir combien ces derniers pourraient mettre sur la table en contrepartie d'une exclusivité. Canal+ avait proposé 100 millions d'euros pour l'exclusivité. La Ligue, considérant que celle-ci valait le double, a mis fin aux négociations."
Multiplier les diffuseurs ferait ainsi baisser la valeur des accords. "Si vous êtes présents partout, il n'y a aucun effet d'aubaine pour personne. Il n'y a donc pas d'intérêt à surenchérir pour avoir la chaîne. De ce fait, les accords de distribution rapporteront peu d'argent à Ligue", approfondit-il.
Quelles conséquences économiques pour les clubs ?
S'il est encore trop tôt pour connaître les retombées économiques pour les clubs de Ligue 1, une tendance se dessine déjà. Car la situation reste encore risquée pour les clubs. Risqué car "les clubs de foot n'ont pas fait l'effort précédemment d'être moins dépendants aux droits TV. Ils ont fait des choix comptables et économiques dépendants des droits TV. Ils ont dépensé allègrement de l'argent qu'ils n'avaient pas, estimant pouvoir se refaire grâce aux droits TV qu'ils n'auront jamais. Ce n'est que la conséquence des mauvais choix faits par les clubs", estime Pierre Rondeau. Comprenez, à défaut d'avoir privilégié des investissements structurels, la constitution de fonds propres et en développant les à-côtés comme les recettes à travers la billetterie et les hospitalités.
"Ils ne savent pas combien ils pourront recevoir, parce qu'ils sont dépendants du succès de la chaîne, puisqu'il n'y a plus de contrats de droits TV."
Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sportà franceinfo: sport
Selon le spécialiste, ces temps troubles pourraient être l'occasion de réaliser "une cure d'austérité, de réduire les salaires, d'arrêter les absurdités comptables qu'on a observées pendant très longtemps dans le football, notamment avec des clubs dont les recettes déclarées sont inférieures à la masse salariale. On ne peut plus voir ça parce que les clubs sont désormais dépendants de la réussite de la chaîne." Directeur général de LFP Médias, qui s'occupe de la commercialisation des droits TV, Nicolas de Tavernost prévient, mercredi 2 juillet, dans L'Equipe : "Il y aura certainement deux années difficiles."
Combien d'abonnés faudrait-il pour une chaîne rentable ?
Aucun objectif n'a été officiellement avancé par la LFP. Mais pour Nicolas de Tavernost, "on serait déçus à moins d'un million d'abonnés la première année", a-t-il admis dans le quotidien sportif. Le président de Canal+ Maxime Saada avait estimé, en cas d'accord d'exclusivité validé, pourvoir "apporter très vite entre 800 000 et 1 million d’abonnés au lancement, rien qu’avec Canal+".
Ce million serait-il suffisant pour relancer la machine ? "Non, répond Pierre Rondeau, qui a fait ses calculs. Si vous prenez l'abonnement à 15 euros avec engagement sur 12 mois, on est à 180 euros par an. Pour un million de personnes, on serait à 180 millions, et avec l'abonnement beIN Sports on ajoute 100 millions d'euros, soit 280. Une fois les taxes déduites, on arrive aux alentours de 170 millions, et divisés par 18 [le nombre de clubs en L1], ce n'est pas beaucoup."
Quel est le projet éditorial de cette nouvelle chaîne ?
Le projet dévoilé par la Ligue est encore très flou, et son contenu reste bien mystérieux à un peu plus d'un mois de la reprise du championnat. "On va essayer de faire le projet le plus innovant et le plus populaire", promet Nicolas de Tavernost dans L'Equipe, ajoutant vouloir mettre "les moyens pour aoir un produit de qualité". Ce projet, mené dans la précipitation après l'arrêt de DAZN à la fin de la saison, est encore en construction. "Ils ont repris le contrat il y a quelques semaines et ont dû trouver un moyen de faire face à la suite, de trouver une boîte de production, à quel prix, et avec quelle offre", explique Pierre Rondeau.
Ce qui est certain, en termes de stratégie, c'est qu'ils "ne peuvent pas se positionner sur une offre composée uniquement des matchs le week-end et d'un magazine le dimanche soir. Ils vont devoir proposer des reportages, des documentaires, des interviews, du contenu exclusif pour attirer le chaland, le consommateur qui en a marre de payer 15 euros pour n'avoir que des matchs." Avec ce nouveau format et cette nouvelle répartition des recettes, les clubs devront aussi eux aussi mettre la main à la pâte, afin d'ouvrir les accès aux joueurs et aux coulisses, ce que regrettaient les précédents diffuseurs.