Festival de Cannes 2025 : la compétition officielle démarre fort avec "Sound of Falling", le second film fort et poétique de Mascha Schilinski
C'est une réalisatrice, Mascha Schilinski, 41 ans, qui a inauguré mercredi 14 mai avec son second film, la compétition officielle de la 78e édition du Festival de Cannes.
Quelque part dans la campagne du nord de l'Allemagne, une grande ferme voit grandir quatre filles, Alma, Erika, Angelika et Lenka. Quatre filles de quatre générations et époques différentes. Alma est une petite fille curieuse qui observe attentivement les adultes. Elle est celle avec qui tout commence.
Début du XXe siècle. Le temps d'Alma est celui de l'éclairage à la bougie, des crucifix et des morts, qu'on accompagne avec des rituels plus ou moins morbides. Alma porte le prénom d'une de ses sœurs aînées disparue prématurément, comme beaucoup d'enfants de cette époque. Elle observe les adultes, leur brutalité, le silence qui entoure la violence, et la manière dont le corps des femmes est mis à disposition ou vendu aux hommes.
D'autres temps viendront, celui d'Erika, presque identique à celui d'Alma, puis les années 1950, avec Angelika. Les décors changent, les shorts en jean remplacent les robes longues et corsetées, mais les hommes continuent à s'approprier le corps des femmes. L'époque de Lenka est celle d'aujourd'hui, celle des téléphones portables, des claquettes et des femmes libérées. Les parents de Lenka rénovent la ferme. Les temps ont changé, mais la mort rôde toujours.
Variation temporelle à plusieurs voix
Cette fresque historique, qui court sur un siècle, est le second film de Mascha Schilinski, révélée à la Berlinale en 2017 avec Die Tochter (Dark Blue Girl). Dans ce premier film, qui n'a pas été distribué en France, la réalisatrice racontait l'histoire d'un couple séparé qui tentait de se rabibocher sous le regard hostile de leur fille de 7 ans.
Avec ce second film, Mascha Schilinski continue à explorer le thème de la famille, cette fois à travers les regards croisés de quatre filles d'âges différents (une fillette, une pré-adolescente, une adolescente et une jeune femme). Chacune d'entre elle observe son temps, avec son propre regard. La narration entrelace les différentes temporalités et les destins de ces quatre filles qui, sans se croiser, se font écho. Les murs de la maison et la campagne environnante semblent avoir absorbé les histoires de celles et ceux qui s'y sont succédé. Les âmes des défunts, regard flou, planant au-dessus du monde des vivants.
Cette variation temporelle à plusieurs voix offre un regard féminin sur le féminin, à la fois intime et universel, qui embrasse un siècle d'histoire. Le film est traversé par des questions simples, portées par de jeunes êtres en devenir, qui observent un monde qu'elles ressentent, qu'elles perçoivent, qu'elles subissent aussi, plus qu'elles ne le comprennent. Le corps, désirant, souffrant, mutilé, agressé, et la mort sont au centre de ce film habité par les traumatismes de l'histoire avec un grand H.
Regard féminin sur le monde
La mise en scène épouse ce point de vue à la fois "naïf", puissant et sensoriel des quatre filles, avec une photographie très picturale, déployée dans une tonalité bichromique assortie aux couleurs de la maison (le rouge des briques et le bleu des volets). L'observation à la dérobée du monde par les personnages, est également indiquée à la mise en scène par des mouvements de caméra ou des amorces dans les plans. Sans rien éluder, la réalisatrice compose une mise en scène à la fois crue et impressionniste, qui sert un propos sur le regard des enfants, tantôt trouble, tantôt hyper focalisé, sur le monde qui les entoure.
La réalisatrice nous fait glisser d'une époque à l'autre sans jamais nous perdre. Elle dessine des ponts entre les différentes histoires avec des mouvements de caméra, la lumière, des éléments des décors, avec la nature, la rivière, ou encore avec des gros plans sonores, lames de fond composées de bruits et de percussions qui nous transportent d'une temporalité à l'autre.
Réflexion puissante sur l'enfance, sur le féminin, sur le corps, sur l'histoire et sur la mémoire, ce film passionnant et engagé révèle une voix singulière et prometteuse du cinéma outre-Rhin. Il pourrait bien figurer au palmarès de cette 78e édition.
La fiche
Genre : Drame
Réalisation : Mascha Schilinski
Avec : Hanna Heckt, Lena Urzendowsky, Laeni Geiseler
Pays : Allemagne
Durée : 2h39
Sortie : prochainement
Distributeur : Diaphana Distribution
Synopsis : Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l'Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.