Pascal Monfort : «Avec ses vêtements, aux couleurs de camouflage, Zelensky ancre la guerre dans le réel»
L’échange tendu entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump, ce vendredi aux États-Unis, a offert une mise en scène saisissante. D’un côté, le président ukrainien, seul, le visage cerné, marqué par la fatigue, en treillis et pull sombre, comme absorbé par les dorures du Bureau ovale de la Maison-Blanche. De l’autre, le président américain, entouré de ses alliés, dont son premier ministre JD. Vance, impeccable dans son costume, teint orangé et cravate écarlate. Un journaliste, posté dans le camp de l’administration Trump, lance alors les hostilités et enfonce davantage le malaise : «Pourquoi refusez-vous de porter un costume ? En possédez-vous au moins un ?» Et Zelensky de répliquer : «Je porterai un costume après la fin de cette guerre. Peut-être comme le vôtre. Ou un peu moins cher... Nous verrons bien.»
Bien que moqué par les trumpistes et décrédibilisé ce vendredi par une partie de l’opinion, Volodymyr Zelensky est pourtant resté fidèle à lui-même. Même Outre-Atlantique, le président ukrainien ne quitte pas son costume de chef de guerre. Il porte l’habit de combat, comme pour rappeler à chaque instant le conflit entre son pays et la Russie. Cette apparition peut-elle jouer en sa défaveur ? Révèle-t-elle une fracture plus profonde entre citoyens et dirigeants ? Et, à bien y regarder, l’image ne tournerait-elle pas finalement à son avantage ? Réponses avec le sociologue et spécialiste de la mode Pascal Monfort.
Madame Figaro.– Volodymyr Zelensky l’a lui-même affirmé : il ne portera un costume qu’une fois la guerre terminée. Son choix vestimentaire est donc un message politique clair ?
Pascal Monfort.– Tout chef d’État réfléchit à l’image qu’il projette, et Zelensky, en homme de communication aguerri, sait que le vêtement est un message silencieux qui ne doit jamais être pris à la légère. Il y a un sens derrière chaque silhouette.
Comment décririez-vous ses tenues ?
Son treillis et son t-shirt kaki sont devenus sa signature. Au-delà de ça, ses vêtements sont simples, fonctionnels, aux couleurs de l’armée et du camouflage – kaki, marron, noir. En rangeant le costume au placard, Zelensky ancre la guerre dans le réel. Il incarne un président proche du terrain et de ses soldats. Il ne se positionne pas comme un bureaucrate enfermé dans sa tour d’ivoire, mais comme un chef des armées qui partage les épreuves de son peuple. Dès le début du conflit, il est apparu dehors, en mouvement, exposé aux dangers. Son absence de costume traduit cette posture : il est dans l’urgence, dans la bataille.
Il marque une fracture avec les autres présidents...
Effectivement, et c’est en cela que son image est à ce point imprimée dans nos rétines. De la même manière qu’il porte une coupe courte, à l’image des militaires. En Europe, où l’on n’avait plus l’habitude de voir un chef d’État en guerre, cela a immédiatement frappé. Avant même les images d’explosions dans son pays, voir un président en treillis a suffi à faire comprendre la gravité de la situation ; on était plus dans la théorie, on était dans le concret. Sa tenue envoie un double message politique. D’abord, à son peuple: il est à sa hauteur, dans une forme de respect et de solidarité. Ensuite, à la communauté internationale : il incarne la détermination et la résistance.
Trump a tenté de l’humilier sur sa tenue. Mais depuis cet échange, de nombreuses publications tournent sur les réseaux sociaux pour défendre Zelensky, le comparant à des hommes politiques comme Winston Churchill, dans sa tenue de militaire juste après Pearl Harbour, , en 1941... Finalement, Trump n’a-t-il pas renforcé son image au lieu de l’affaiblir ?
Exactement. En voulant le moquer, Trump a en réalité renforcé l’image iconique de Zelensky, crée par ses vêtements. Il est dur aujourd’hui de l’imaginer en costume, car ce n’est plus son personnage. Lorsqu’il est entouré d’hommes en costume-cravate, qui semblent tous déconnectés du monde, lui ressort immédiatement. Il capte l’attention, il se différencie par les valeurs qui ses vêtements dégagent. Ce face-à-face avec Trump contribue donc à son aura : quoi qu’il arrive, l’histoire retiendra son combat et son apparence. De la même manière que l’on retient le bicorne de Napoléon, la barbe de Che Guevara, le cigare de Fidel Castro.
En répondant au journaliste, Zelensky a évoqué le prix du costume qu’il porterait une fois la guerre terminée… Aujourd’hui, il semble rejeter tout ce qui est associé au luxe et au pouvoir des grands dirigeants.
Là où certains, et même des chefs de guerre, arboraient des signes extérieurs de richesse – Fidel Castro portait deux Rolex, par exemple –, Zelensky mise sur la simplicité, l’humilité. Il ne veut pas de la posture des grands luxueux. C’est l’anti Louis XIV, l’anti-Donald Trump.
Peut-on alors voir le fait qu’il se soit rendu à la Maison-Blanche sous cette allure comme une provocation ?
Non, il est simplement resté dans son rôle. Trump, en revanche, a joué une toute autre carte et avait, je pense, prévu de l’attaquer sur ce sujet.
Que nous dit d’ailleurs le look - et la cravate rouge emblématique - de Donald Trump sur sa manière d’incarner le pouvoir ?
À l’inverse de Zelensky, Trump correspond en tout point, selon moi, à l’homme politique américain conservateur avec une cravate large et rouge, ostentatoire, totalement hors du temps. Il ne cherche pas à incarner la modernité, mais l’autorité, la continuité.
Son refus de moderniser son apparence est-il un choix stratégique ?
Trump souhaite revendiquer une posture plus traditionnelle. Et il maîtrise parfaitement l’importance des symboles, c’est un fin observateur, il a fait cela toute sa vie. Il veut qu’on sache immédiatement ce qu’il représente : un président puissant, conservateur, ancré dans une vision classique du pouvoir.
Cela semble assez paradoxal lorsque l’on pense à Elon Musk, patron de X et Tesla et nouveau ministre de l’Efficacité gouvernementale, qui se promène en jean et t-shirt dans le Bureau ovale...
C’est gonflé oui... Mais Elon Musk est aussi remarqué pour ces signes distinctifs, il parle à un certain public et Trump le sait et l’a compris. Musk est dans l’extravagance, en quelque sorte, mais il devient lui aussi très reconnaissable, comme Mark Zuckerberg et ses claquettes.