« Le lobbying de la pétrochimie représente une menace » : Comment les fabricants de plastique pèsent sur l’Union européenne pour éviter les taxes carbones

Les arguments sont galvaudés. Ils semblent, pourtant, toujours avoir de l’effet sur les institutions de l’Union européenne (UE). Les groupes industriels producteurs de plastique ne cessent ainsi de faire valoir que leur secteur serait « à bout de souffle » ou qu’ils pourraient être « contraints de se délocaliser en dehors de l’Europe si les subventions actuelles à la pollution n’étaient pas prolongées ».

Dans un rapport publié ce lundi 27 janvier, l’ONG Zero Waste Europe démonte le discours des producteurs européens de plastique et démontre que leurs opérations de lobbying influent sur les décisions de l’Union européenne. « L’industrie pétrochimique a déjà bénéficié d’un soutien financier considérable sous la forme de quotas d’émission attribués gratuitement  », alerte ainsi Zero Waste Europe, qui ajoute que ces derniers « permettent, à certaines industries à forte consommation d’énergie, d’émettre une tonne de CO2 sans frais ».

Un quart de milliard d’euros de quotas gratuits

L’ONG l’assure : « Certains producteurs de plastique ont reçu plus de quotas que la quantité de CO2 qu’ils ont émise. » Le géant britannique Ineos, qui possède aussi une assise dans le secteur du sport professionnel (le groupe a dépensé près de 700 millions d’euros dans le football, la formule 1 ou le cyclisme, entre 2019 et 2022), est notamment pointé du doigt : « L’analyse des données accessibles au public montre qu’Ineos a reçu – à lui seul – près d’un quart de milliard d’euros de quotas gratuits excédentaires. »

Au total, les émissions vérifiées d’Ineos s’élèvent à un total de 11,6 millions de tonnes de CO2 depuis 2005. Au cours de la même période, Ineos a reçu 14,5 millions de quotas gratuits pour ces installations. Cela signifie qu’Ineos s’est vu attribuer 2,9 millions de quotas gratuits excédentaires. Et ce, depuis la mise en place du Système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SCEQE), censé inciter les entreprises polluantes à réduire leurs émissions à effet de serre et à investir dans des technologies respectueuses du climat. Il en va de même pour BASF, plus grand groupe de chimie au monde, qui a bénéficié d’un montant similaire à Ineos.

Malgré cela, des documents de lobbying étudiés par Zero Waste Europe montrent que ces groupes font leur possible pour continuer à bénéficier de quotas gratuits pour l’exportation de produits chimiques à l’international. Gratuité censée être supprimée progressivement, comme l’a annoncé la Commission européenne lors de la confection du SCEQE.

Selon Zero Waste Europe, plusieurs États membres estiment que, en raison du faible fonctionnement du marché du carbone, « les entreprises ne sont pas incitées à décarboner », mais aussi qu’ils continuent, donc, à apporter « un soutien supplémentaire aux produits pétrochimiques, y compris aux producteurs de plastique ».

L’ONG reprend l’exemple d’Ineos, qui s’est vu accorder « au moins un milliard d’euros de financement » de la part de la Belgique et du Royaume-Uni pour son projet d’usine de plastique, Project One, l’une des plus grandes à voir le jour en Europe depuis vingt ans. « Il s’agit simplement d’une question d’avidité et d’un refus d’investir de l’argent maintenant pour une production plus verte dans quelques années. Il s’agit simplement d’essayer de maintenir le statu quo aussi longtemps que possible », soulève Lidia Tamellini, experte politique de Carbon Market Watch sur la décarbonisation industrielle de l’UE, interrogée par Zero Waste Europe.

Près de 14 % de la consommation de pétrole en 2020

La production de plastique est la partie la plus importante du secteur chimique. Elle représente environ un tiers de la production de produits chimiques dans le monde et environ un cinquième en Europe. Le secteur pétrochimique est ainsi le plus énergivore au monde, « plus que les industries du fer et de l’acier, du ciment, de la pâte à papier et de l’aluminium », rappelle l’ONG.

Les étapes du processus de production du plastique qui consomment le plus d’énergie et génèrent le plus d’émissions sont le raffinage du pétrole pour produire du naphta et le traitement des eaux usées. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, les émissions annuelles de gaz à effet de serre liées à la production de plastique dans l’UE – soit la part des émissions directes provenant des raffineries de pétrole et de la fabrication de produits chimiques – s’élèvent à environ 13,5 millions d’euros par an. Enfin, l’industrie pétrochimique reste très demandeuse de combustibles fossiles, avec près de 15 % de la consommation finale de gaz et 14 % de la consommation finale de pétrole en 2020 dans toute l’Union européenne.

« Un certain nombre d’industries à forte consommation d’énergie sont exemptées des obligations du SCEQE, pointe Zero Waste Europe. Notamment la production de produits chimiques en vrac dans les vapocraqueurs, qui serviront à fabriquer du plastique. » L’ONG profite donc de son enquête pour épingler le système d’allocation de quotas d’émission gratuits, selon elle « conçu pour protéger les industries lourdes européennes du prétendu risque de “fuite de carbone” ». En résumé, le risque que les industries délocalisent leur production en dehors de l’UE vers des pays ou des régions où les politiques en matière d’émissions de carbone sont plus souples. « C’est pourquoi les émissions de ces secteurs n’ont pas beaucoup diminué au cours de la période d’application du SCEQE », résume l’étude.

« S’il y a une taxe sur le carbone, c’est parce que le CO2 cause des dommages à l’environnement. Nous continuons à externaliser le coût pour les citoyens. En Europe, nous suivons un principe : les pollueurs paient. Si cela signifie une diminution des bénéfices pour l’industrie, qu’il en soit ainsi », ajoute Lidia Tamellini. Silvia Pastorelli, chargée de campagne sur la pétrochimie dans l’Union européenne au Centre de droit international de l’environnement, va dans son sens : « À une époque où l’alignement des politiques sur les objectifs climatiques est plus important que jamais, revenir sur l’engagement d’éliminer progressivement les quotas gratuits et continuer à donner un passe-droit aux pollueurs nuirait à la crédibilité de l’UE. »

Si la Commission européenne pourrait procéder à ces changements par le biais d’une législation secondaire, « les experts estiment que le lobbying de la pétrochimie représente une menace », fustige Zero Watch Europe. « Les entreprises européennes doivent cesser de se cacher derrière des artifices comptables et joindre le geste à la parole en faveur d’une transition équitable et écologique », estime ainsi Silvia Pastorelli. Sans quoi le retard pris dans la lutte contre le dérèglement climatique va continuer de s’accentuer.

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