Utopia 56 porte plainte après les révélations de Disclose sur la responsabilité de la police dans la mort de Jumaa al-Hassan, noyé dans la Manche
Une plainte comme symbole d’espoir et de justice. L’association Utopia 56 a annoncé ce mercredi 8 juillet déposer plainte pour homicide involontaire et omission de porter secours contre des policiers dans la mort de Jumaa al-Hassan. Ce jeune homme, un Syrien de 27 ans, est décédé noyé dans la nuit du 2 au 3 mars 2024 dans le canal de l’Aa, à Gravelines dans le Nord, lors d’une opération policière alors qu’il essayait de rejoindre le Royaume-Uni.
Cette intervention policière, qui avait pour but d’empêcher le départ de l’embarcation, est aujourd’hui pointée du doigt par une enquête parue ce mercredi sur Disclose. S’appuyant notamment sur une reconstitution en 3D des événements élaborée par l’ONG Index à partir de témoignages directs et d’enregistrements audio, l’investigation révèle l’implication directe des forces de l’ordre dans ce drame et leur absence d’assistance à Jumaa al-Hassan.
Une plainte pour lever le voile sur la responsabilité policière
L’enquête confiée à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille se poursuit, mais aucun des policiers présents sur les lieux au moment des faits n’a, pour l’heure, été entendu. « On s’aperçoit que l’instruction ouverte par la JIRS ne s’attache qu’à enquêter sur l’implication du réseau de passage et ne questionne jamais la responsabilité́ des forces de l’ordre qui étaient présentes, qui sont intervenues et qui ont gazé », dénonce Charlotte Kwantes, responsable plaidoyer et communication chez Utopia 56. « Notre plainte doit permettre d’apporter une réponse à cette question : pourquoi ont-ils gazé alors que la configuration des lieux était dangereuse, et pourquoi n’ont-ils pas porté secours à Jumaa ? »
L’inaction des forces de l’ordre est précisément au cœur des conclusions des journalistes auteurs de l’enquête pour Disclose. « Il aurait aussi dû être sauvé par les policiers tout proches et être recherché suite aux alertes des témoins sur place et des équipes d’Utopia 56 », fustige l’association. « Pourtant, aucun service n’a agi, et c’est 16 jours plus tard qu’il est retrouvé mort sur le bord du canal. »
Simon Mauvieux, l’un des journalistes ayant contribué à l’enquête, abonde : « Tout de suite, on s’est confronté au déni des autorités. » L’enquête repose notamment sur les récits de sept témoins présents lors de la disparition de Jumaa. « Le nombre important de témoignages, tous concordants, atteste de cette non prise en compte absolue de l’urgence de la situation par la police et l’usage de gaz lacrymogène », poursuit le journaliste.
Cet usage controversé est également mis en lumière dans la vidéo de reconstitution réalisée par l’ONG Index. « Son utilisation ce soir-là a été reconnue par la préfecture mais grâce à cette reconstitution, on a compris qu’elle est intervenue avant le moment où Jumaa s’est noyé́ », précise Guillaume Seyller, enquêteur pour Index.
« Quand il a essayé de remonter des berges, il a vu la police qui a commencé à l’asperger de gaz. À cause de cela, il a été forcé de redescendre et de peur il a sauté à l’eau, mais il a tout de suite coulé », raconte un témoin de la scène dans la vidéo. Avant de poursuivre : « La police n’était pas loin de lui. S’ils avaient voulu, ils auraient pu descendre et le sortir de là. »
Exemple révélateur de méthodes systémiques
Pour Maïa Courtois, journaliste coautrice de l’enquête, les circonstances de la disparition de Jumaa al-Hassan sont loin d’être un cas isolé : « La non prise en compte des alertes des passagers, l’absence de dispositifs de soutien psychologique pour les proches ou les passagers qui ont vu des personnes disparaître sous leurs yeux, et les lacunes dans les recherches policières sont toutes des questions systémiques », souligne-t-elle.
Un constat partagé par Utopia 56. « Ce qui s’est passé avec Jumaa démontre que la surenchère policière et sécuritaire ne produit qu’un seul effet : mettre en danger plutôt que sauver des vies », déplore Charlotte Kwantes pour qui les récentes images d’un canot d’exilés lacéré par les gendarmes du Pas-de-Calais n’ont rien d’anodin. « Nos dirigeants se félicitent de voir que l’action publique de la France financée par des centaines de millions d’euros de l’Angleterre, c’est d’équiper les gendarmes de couteaux pour percer des bateaux et empêcher les gens de partir. Or, on ne cesse de le dire : l’intervention de la police accroît la probabilité de décès et pousse même à prendre des risques encore plus grands pour s’assurer un départ, une chance. »
Depuis 2011, au moins 366 personnes ont péri en tentant de traverser la Manche, un chiffre en nette augmentation ces deux dernières années. Par cette plainte, Utopia 56 espère obtenir justice pour la famille de Jumaa al-Hassan, mais aussi pour toutes les autres victimes.
« Le but de cette plainte c’est de faire la lumière sur les circonstances et de rendre justice à une famille qui a perdu un fils, un neveu, mais aussi de pointer les responsabilités que comptent les États britannique et français dans ces drames-là̀ », conclut Charlotte Kwantes.
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