« Quand je partais, je ne savais pas si j’allais revenir » : Zuenuha Cheikh Ali, démineuse du désert

Aucerd, camps de réfugiés de la République arabe sahraouie démocratique (Algérie), envoyé spécial.

Un masque, un casque, un blouson spécial, qui doit être léger. Zuenuha égraine l’équipement de base, fourni par une ONG. Elle raconte en mimant ce qu’est la mission. « Si elles sont en plastique ou en fer, c’est différent. Le détecteur ne doit jamais toucher le sol. On est alerté, soit par un signal visuel ou sonore, soit par vibrations. Puis, on a une sorte d’antenne pour localiser précisément l’engin. Là, j’ai toujours peur. Ensuite, on les rassemble en tas et on les fait exploser. »

Ce dont parle Zuenuha avec un calme olympien a pourtant de quoi effrayer. Ce sont des mines. Antipersonnel ou antichar, dix millions de mines disséminées dans le sable du désert saharien, tout le long du fameux « mur des sables », qui s’étend sur 2 700 km, construit par le Maroc dans les années 1980 pour diviser le peuple sahraoui et empêcher tout retour de celui-ci sur sa terre, le Sahara occidental.

« Je l’ai fait pour participer à nettoyer notre terre »

Zuenuha vit dans les camps de réfugiés sahraouis, situés près de la ville de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie. Là où elle est née, voici trente-sept ans. Et ses trois enfants également. Quand elle s’est portée volontaire pour les missions de déminage, en 2017, elle attendait le premier. « Cela a été un problème de convaincre ma famille que je devais le faire, mais j’ai réussi », sourit-elle. Elle a débuté la formation, qui dure presque un an. « Cela nécessite un long apprentissage, pour le matériel de sécurité, et pour soi-même. Il y a beaucoup de règles, de vigilance, le danger est partout. Le début est toujours traumatisant, mais on s’adapte, on prend de l’expérience. »

Dans sa melhfa jaune, rose et blanche – le vêtement traditionnel porté par les Sahraouies –, la jeune femme se prend tout à coup à rire. « Une fois, une copine est restée plantée à quatre pattes dans le sable. Elle appelait : « Venez, venez ! Y en a une ! » Elle pouvait plus bouger », pouffe-t-elle, encore amusée par le souvenir qui passerait pour cocasse s’il ne surgissait pas au beau milieu d’une opération de déminage.

Pour Zuenuha, cet engagement va de soi. « C’est d’abord par devoir national que je l’ai fait, pour participer à nettoyer notre terre. » Pour les Sahraouis, en exil depuis cinquante ans, le sujet est primordial. Son importance se mesure aussi au Smaco, le Sahrawi Mine Action Coordination Office – le Bureau sahraoui de coordination et d’action contre les mines. C’est ici qu’on inventorie les types de mine – « Il y en a 72, venues de 14 pays différents. La troisième quantité au monde, après le Laos et l’Afghanistan », précise le directeur, Taleb Haidar.

C’est ici qu’on forme les volontaires, en lien avec l’ONU et des ONG, et que les équipages partent pour des missions, très dangereuses depuis la reprise du conflit armé contre le Maroc, en 2020, lequel dispose désormais de drones meurtriers. Au moins 127 civils sahraouis, qui habitent dans les territoires libérés, entre le mur et la frontière avec l’Algérie, ont été tués depuis cette date par les engins volants, fournis par Israël et la Turquie.

« Quand je partais, je ne savais pas si j’allais revenir »

C’est la raison pour laquelle, pour l’heure, Zuenuha n’est pas retournée en mission de déminage. Celles-ci se font plus rares. Plusieurs ONG, face au danger, ont stoppé les actions, pour protéger la sécurité du personnel. Mais, pour elle, aucune hésitation : « Aujourd’hui, avec la guerre, c’est très dangereux. Mais, dès qu’il y aura une campagne, je serai prête. En 2018, quand je suis partie, j’avais un bébé de quelques mois. Quand je partais, je ne savais pas si j’allais revenir. Malgré ces réticences, ma famille l’a accepté. Je ne leur ai pas laissé le choix ! » s’exclame-t-elle avec un sourire espiègle.

Si Zuenuha a voulu s’engager de cette façon-là, c’est surtout en raison de son histoire familiale, confie-t-elle, visiblement émue. Comme près de 6 000 Sahraouis, son père a été victime de ces mines. « C’est pour cela que j’ai choisi cette tâche. Il a été blessé en 1985, lors de la première guerre, et amputé. » Dans les missions auxquelles elle a participé, elle a eu la chance de ne jamais connaître de drame.

Pas directement en tout cas. « Il y a des accidents. Un jeune d’une mission avant nous… la mine a explosé… » Zuenuha ne finit pas sa phrase. On apprendra, plus tard, que le jeune homme est mort. Elle veut toutefois garder le souvenir de la solidarité, du courage de ses amies et d’elle-même, quand il fallait partir dans la région de Bir Lahlou, après quatre heures de route sur le sol rocailleux du reg saharien.

« Je ne sais pas si c’est de la chance ou une coïncidence, mais je n’ai trouvé que des obus et des munitions non explosés. Mes copines, par contre, ont trouvé beaucoup de mines. Elles sont très braves, plus que les hommes ! »

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