Biathlon : grand rival de Martin Fourcade, la légende Johannes Boe tire sa révérence

Depuis deux mois, il est ovationné sur chacune de ses courses. Le Norvégien Johannes Boe, au palmarès XXL, a en effet annoncé, en larmes, à la mi-janvier que cette saison 2024-25 serait sa dernière. A Oslo-Holmenkollen (Norvège), dimanche 23 mars, il court donc son ultime mass start, à domicile, lui qui est passé tout près d'égaler le record de victoires en Coupe du monde d'Ole Einar Bjoerndalen (95).

Avant cette ultime épreuve, il compte 91 succès en individuel, mais une éventuelle 92e victoire ne lui permettra pas de remporter le classement de la Coupe du monde, acquis à son compatriote Sturla Laegreid après la poursuite de samedi où le podium fleurait bon la transmission. 

Le podium de la poursuite d'Holmenkollen (Norvège), le 22 mars 2025. (THOMAS ANDERSEN / NTB)
Le podium de la poursuite d'Holmenkollen (Norvège), le 22 mars 2025. (THOMAS ANDERSEN / NTB)

A 31 ans, le biathlète a marqué le circuit mondial par ses performances et ses qualités humaines. Détenteur du record de titres de champion du monde (23 dont 12 individuels), de cinq médailles d'or olympiques (dont trois individuelles) et de cinq gros globes de cristal, Johannes Boe avait prévu de continuer jusqu'aux Jeux de Milan-Cortina en 2026, "mais la participation aux Jeux olympiques exige encore plus, y compris pour ceux qui m'entourent, avait-il justifié lors de sa conférence de presse, le 18 janvier, la voix cassée par l'émotion. Le moment est venu de donner priorité à ma famille". Il va ainsi clore une grande page de son histoire personnelle, mais aussi de l'histoire du biathlon.

Une première victoire individuelle au Grand-Bornand

Particulièrement précoce, le cadet des frères Boe, dont l'aîné, Tarjei, 36 ans, a aussi annoncé sa retraite à l'issue de la saison, a débuté en Coupe du monde lors de la saison 2012-13, sur un relais à Antholz-Anterselva (Italie). Pour sa deuxième année sur le circuit, âgé de 20 ans, il surprend les favoris et remporte un double succès sprint-poursuite sur l'étape française du Grand-Bornand. La légende est lancée. 

Celui qui deviendra son plus grand rival domine alors la concurrence : Martin Fourcade. "J’ai l’impression qu’une grande part de la seconde partie de ma carrière a été marquée par ces duels parfois gagnés, parfois perdus", racontait le champion français dans le Dauphiné libéré à l'annonce de la retraite de Johannes Boe. Siegfried Mazet, le coach français de tir de l'équipe de la Norvège, connaît bien les deux hommes pour avoir été également l'entraîneur de Martin Fourcade pendant une dizaine d'années.

"La différence entre les deux, c'est que Martin est très clairvoyant, alors que Johannes est très instinctif. Ils savent tous les deux faire la différence dans les moments-clés, les reconnaître et savent quelle carte jouer au moment T. Et ça c'est vraiment la différence avec tous les autres."

Siegfried Mazet, entraîneur de tir de l'équipe de Norvège

à franceinfo: sport

Pour chacun, un record différent : sept gros globes consécutifs pour Martin Fourcade, témoignant d'une "stabilité et d'une longévité incroyable à très haut niveau" pour Siegfried Mazet, et douze titres de champions du monde individuels pour le natif de Stryn (Norvège), qui en ajoute 11 de plus avec les relais.

Il aurait pu aussi égaler voire dépasser son illustre aîné Ole Einar Bjoerndalen et ses 95 victoires sur le circuit Coupe du Monde, mais un virus sur l'avant-dernière étape à Pokljuka (Slovénie) l'a empêché de se prendre à rêver. "Il a tout gagné et je crois que lui non plus n’était pas dans une chasse effrénée aux records contrairement à ce que son palmarès peut laisser transparaître", déclarait d'ailleurs Martin Fourcade mi-janvier. 

Siegfried Mazet, l'homme clé

La relation de Johannes Boe avec le coach français, débauché en 2016 à... Martin Fourcade, l'a propulsé vers un sommet qu'il n'a plus jamais quitté, sans pour autant se départir de son fair-play et son affabilité caractéristiques. "C’est peut-être le seul adversaire avec qui il n’y a jamais eu de relation ambivalente, sourit pourtant le champion tricolore. Dans une rivalité, on a souvent beaucoup de respect pour son adversaire et à la fois beaucoup de haine. Mais lui comme moi, on a fait toute notre carrière en étant extrêmement respectueux de ce que pouvait faire l’autre. Même lors de la saison 2018, l’année ou, pour moi, notre rivalité était la plus forte, on a su garder cette hauteur de vue".

Siegfried Mazet se souvient lui de son arrivée dans le pays du ski nordique, où le tir n'était pas la priorité. Une lacune qu'il a su polir chez Johannes Boe, qui tire encore cette saison encore à 85% de réussite.

"Il a fallu changer une culture assez profonde où la partie ski de fond et physique prenait largement le pas sur le tir. Johannes a dit : 'Je veux être champion du monde et je veux battre Martin Fourcade'. OK mais Martin Fourcade, c'est 88% de réussite au tir, toi tu es à 81%. Si tu veux le battre, il faut au moins être à 88, voire à 89%. Tu vois le chemin qu'il te reste à faire".

Siegfried Mazet, ancien entraîneur de tir de l'équipe de France désormais avec la Norvège

à franceinfo: sport

Particulièrement à l'écoute, le surdoué norvégien a rapidement basculé les cibles pour s'offrir un grand chelem sur la saison 2019-2020, remportant le gros globe de cristal et le petit globe sur les quatre courses individuelles : sprint, poursuite, individuel et mass start. L'année de la consécration pour Johannes Boe, celle de la retraite pour Martin Fourcade, qui a échoué cette année-là à seulement deux points de la première place du classement général. Avec un pourcentage de 89% au tir, le biathlète norvégien est alors au sommet de son art. 

Des Jeux de Pékin en apothéose

Désormais seul devant, Johannes Boe dépose la concurrence, notamment dans son propre pays pourtant dense en talents. Aux JO en 2022, il remporte quatre médailles d'or (sprint, mass start, relais hommes et relais mixte) plus une en bronze sur l'individuel.

Johannes Boe remporte le titre olympique du sprint à Pékin, le 14 février 2022. (TOBIAS SCHWARZ / AFP)
Johannes Boe remporte le titre olympique du sprint à Pékin, le 14 février 2022. (TOBIAS SCHWARZ / AFP)

Il termine la saison 2023 avec un record de 19 victoires (dont trois sur les Mondiaux d'Oberhof) pour 23 courses disputées durant l'hiver, échouant une seule fois à monter sur le podium. Il comptabilise alors plus de 500 points d'avance sur son dauphin. Porté par ces succès, le biathlète, désormais deux fois père, continue sa razzia tant sur la Coupe du monde que les Mondiaux où en 2023 comme en 2024, il enlève trois titres individuels et sort médaillé de toutes les épreuves (14) qu'il a disputées.

Ole Einar Bjoerndalen, Martin Fourcade et Johannes Boe ont "chacun à leur manière marqué leur sport. Ils ont construit leur légende", prophétisait encore Siegfried Mazet auprès de franceinfo: sport après les derniers Mondiaux du champion à Lenzerheide (Suisse) en février. Une légende qui s'écrira désormais au passé pour Johannes Boe, qui débutera, lundi, le premier jour du reste de sa vie.