À Sangatte, dans le Pas-de-Calais, les morts sont devenus une triste habitude. Maire de cette commune de presque 5000 habitants depuis 2006, Guy Allemand s’est gardé de parler d’immigration pendant longtemps, «préférant faire confiance aux services de l’État».
«Mais en août 2019, on a eu notre premier mort», explique-t-il dimanche 2 février. Depuis, les décès s’accumulent sur les plages du village où des migrants tentent régulièrement de rejoindre le Royaume-Uni à bord de petites embarcations, les «small boat». «Je peux vous dire que quand vous avez six cadavres en moins d’un mois, ça fait quelque chose...», souffle aujourd’hui le maire qui s’insurge contre la mise en vente, au Décathlon de Calais, à une dizaine de kilomètres de sa commune, de «matériels nautiques, dont des gilets de sauvetage et des zodiacs».
«Un administré a prévenu une de mes adjointes. Nous avons vérifié. Il y avait même des migrants dans le magasin hier qui achetaient des vestes qui sont actuellement en promotion», s’indigne le maire pour qui ces articles à la vente incitent et encouragent les traversées qui se terminent parfois dramatiquement. Sollicité, Décathlon n’a pas souhaité répondre pour le moment.
Kayaks supprimés
En 2021, l’enseigne avait retiré des kayaks de ses antennes à Calais et à Grande-Synthe, expliquant que ces articles étaient «détournés de leur usage sportif» en servant «d’embarcations pour traverser la Manche» contrairement à «la conception qui est donnée à ces produits». L’entreprise justifiait ce retrait en expliquant que cet usage détourné pouvait «mettre en danger la vie des gens qui les utilisent dans le cadre d’une traversée.» À ce titre, Décathlon expliquait vouloir laisser «les produits qui permettent d’améliorer la sécurité en mer comme les gilets, les rames ou la protection thermique».
Les associations d’aide aux migrants, quant à elles, estiment que supprimer certains équipements de la vente n’est pas une solution. «Cela n’arrêtera jamais personne, à la fin de son parcours migratoire, de rejoindre sa famille en Angleterre ou de fuir son régime», a réagi Arthur Dos Santos, coordinateur de l’antenne Utopia 56 à Calais, auprès de BFM TV. «On peut admettre le discours des associations qui demandent la sécurité, mais leur rôle n’est pas, au prétexte de sauver des vies, de permettre aux migrants d’acheter du matériel dans nos grandes surfaces», s’agace Guy Allemand.
Contactée par Le Figaro, la maire de Calais Natacha Bouchart affirme que les services de l’État sont attentifs aux rayons nautiques de l’antenne ciblée de Décathlon. «Les gilets de sauvetage permettent, d’un côté, de sauver des vies, mais en même temps leur vente contribue à nourrir l’organisation mafieuse de l’ensemble d’un dispositif qui conduit des gens à la mort», dit-elle.
Nombre de traversées et de morts records
L’élue pointe surtout du doigt des filières qui font parvenir par camion du matériel, notamment depuis l’Allemagne. «Hier soir encore, les autorités ont déterré sur le littoral au nord de Calais du matériel pour une centaine de traversées», rapporte-t-elle.
L’an dernier, 36.816 candidats à l’exil sont parvenus à rejoindre l’Angleterre sur des small boats, soit 25% de plus qu’en 2023, selon le ministère britannique de l’Intérieur. Et si l’année 2024 a été la plus cruelle depuis la première utilisation en 2018 de «small boat» pour traverser la Manche, avec un record de 77 migrants décédés selon un dernier bilan de la préfecture du Pas-de-Calais, le début de l’année 2025 s’annonce encore pire.
«Plus de 1000 migrants ont déjà traversé la Manche depuis le début du mois, plus qu’en janvier 2024», alerte Natacha Bouchart. Surtout, plusieurs d’entre eux sont déjà morts, notamment à Sangatte. Le 22 janvier dernier, le corps d’un Yéménite âgé d’une vingtaine d’années a été découvert sur la plage de la commune. Le 11 janvier, c’est un Syrien du même âge qui est décédé, «probablement écrasé», par d’autres migrants dans la cohue du départ, selon la préfecture.