Londres et Washington redoutent un «accord nucléaire» entre la Russie et l’Iran

Lors de sa visite vendredi à Washington, Keir Starmer, le premier ministre britannique, n’a pas seulement évoqué avec le président américain Joe Biden la délicate question des missiles à longue portée occidentaux livrés à l’Ukraine : faut-il également autoriser Kiev à frapper le territoire russe avec les missiles de croisière Storm Shadow que les Britanniques livrent aux Ukrainiens ? Londres et Washington ont choisi de temporiser, tout en rejetant les mises en garde russes. Pour Vladimir Poutine, en pareil cas, cela signifierait que «l’Otan serait en guerre contre la Russie». «De la poudre aux yeux», a dénoncé ce dimanche matin le chef de la diplomatie britannique, David Lammy, qui évoque une «fanfaronnade».

Mais la presse britannique, qui n’a pas été tendre avec Starmer, revenu bredouille de Washington, évoque désormais un second sujet de discussion abordé par les deux dirigeants à Washington, plus discrètement. «Le Royaume-Uni et les États-Unis s’alarment d’un éventuel accord nucléaire entre l'Iran et la Russie», titre ainsi ce dimanche le Guardian . Et tout est intimement lié. D’un côté, alors qu’ils rechignaient jusque-là à franchir cette nouvelle «ligne rouge» russe, Londres et Washington réfléchissent à changer leur doctrine sur l’emploi d’armes occidentales à longue portée en Russie depuis qu’ils ont acquis la certitude, la semaine dernière, que l’Iran a livré à la Russie plus de 200 missiles balistiques Fath-360, que Moscou ne manquera pas de tirer en Ukraine.

«Escalade dramatique» 

De l’autre, Américains et Britanniques redoutent que Moscou ait «partagé des secrets nucléaires avec l’Iran en échange de la fourniture» desdits missiles, souligne le quotidien d’outre-Manche, évoquant des «sources britanniques». À Washington, vendredi, des «inquiétudes» ont ainsi été exprimées par Biden et Starmer au sujet d’un possible «commerce de l'Iran» afin de se procurer «la technologie nucléaire». En visite à Londres la semaine dernière, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, s’en était déjà ému, mais ses propos étaient passés au second plan, derrière le sujet des missiles balistiques iraniens envoyés en Russie. «De son côté, [Moscou] partage la technologie recherchée par l'Iran – c'est une voie à double sens – y compris sur les questions nucléaires ainsi que certaines informations spatiales», avait-il affirmé.

Le chef de la diplomatie américaine avait ainsi mis en garde Téhéran : «Cette évolution et la coopération croissante entre la Russie et l'Iran menacent la sécurité européenne et démontrent que l'influence déstabilisatrice de l'Iran s'étend bien au-delà du Moyen-Orient (...) Nous avons averti l'Iran en privé que cette mesure [l’envoi de missiles iraniens en Russie, NDLR] constituerait une escalade dramatique (...) Le nouveau président (...) a déclaré à plusieurs reprises qu'il souhaitait rétablir le dialogue avec l'Europe. Il souhaite obtenir un allègement des sanctions. Des actions déstabilisatrices comme celles-ci auront exactement l'effet inverse ». Dans la foulée, Washington et les Occidentaux annonçaient prendre de nouvelles sanctions contre des entreprises iraniennes.

Cet éventuel «accord nucléaire» entre Moscou et Téhéran, qui rapprocherait plus que jamais la République islamique du seuil fatidique, naîtrait sur les cendres de l’«accord nucléaire» de 2015 qui, lui, justement, visait à éloigner le spectre d’une telle éventualité. Après des années de négociation, Téhéran avait signé à Vienne le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), s’engageant à limiter drastiquement son programme nucléaire à un niveau compatible avec un emploi civil de l’atome, en échange d’une levée des sanctions. Mais le texte, cosigné à l’époque par les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine et l’Allemagne - format dit «5+1» - ne survécut pas à l’élection de Donald Trump en 2016, qui en fit sortir Washington unilatéralement en 2018

Par voie de presse, Téhéran a annoncé le lancement de plusieurs centaines de nouvelles centrifugeuses, dont certaines dans des sites enterrés

Depuis lors, tout en niant toujours officiellement vouloir se doter de l’arme nucléaire - la République islamique est signataire du traité de non-prolifération de 1968 et a même édicté une fatwa contre l’arme atomique en 2005 ! -, Téhéran relance progressivement sa production d’uranium hautement enrichi, très au-delà des seuils nécessaires pour l’industrie civile. En février dernier, d'après l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui contrôle l'exécution du JCPOA, les stocks iraniens de combustible s'élevaient à 5,5 tonnes (contre 4,5 tonnes quatre mois plus tôt), soit 27 fois la limite autorisée par l'accord de Vienne.

Lancement d’un satellite

Mais depuis, par voie de presse, Téhéran a annoncé le lancement de plusieurs centaines de nouvelles centrifugeuses, dont certaines dans des sites enterrés. Mi-juin, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont condamné «une escalade supplémentaire du programme nucléaire de l'Iran, qui emporte des risques importants de prolifération». Les trois signataires de l’accord de Vienne ont récidivé la semaine dernière, le Guardian rappelant que l’Iran avait accumulé quatre «quantités importantes» qui pourraient chacune être utilisées pour fabriquer une bombe nucléaire. Reste que posséder de l’uranium hautement enrichi de qualité militaire ne suffit pas à produire une bombe nucléaire. Le franchissement du seuil nécessite des compétences scientifiques particulières dont la Russie dispose évidemment. 

Même si la chercheur de l’Ifri Héloïse Fayet rappelait récemment que Téhéran dispose de «tous les moyens physiques pour développer une arme nucléaire, il ne manque donc plus qu'une volonté politique», cette collaboration irano-russe crainte par Londres et Washington représenterait une marche supplémentaire. Samedi, Téhéran a d’ailleurs envoyé incidemment un autre message en annonçant avoir lancé «avec succès» un nouveau satellite de recherche construit par son ministère de la Défense. À l’image de ce qui s’est produit par le passé en Corée du Nord, les Occidentaux redoutent de longue date que ces lancements soient un moyen détourné pour l’Iran de faire progresser son programme balistique, dont les technologies seraient nécessaires pour servir de vecteurs à une éventuelle arme nucléaire.