Moins de nuitées, moins de dépenses… Pourquoi la place de la France comme leader du tourisme mondial est une "illusion d'optique"

La tour Eiffel, Notre-Dame de Paris et bye-bye... Des torrents de visiteurs étrangers déambulent dans les rues de la capitale pour profiter de l'été le temps d'un court séjour. Souvent considérée comme une destination majeure du tourisme international, la France se targue d'accueillir chaque année plus de 100 millions de visiteurs sur son territoire, qui représentent environ 30% des recettes du tourisme en France, selon l'Insee. Mais la carte postale est peut-être trompeuse. Le Premier ministre, François Bayrou, anime un comité interministériel à Angers (Maine-et-Loire), jeudi 24 juillet, afin d'esquisser une stratégie pour le secteur, à la suite d'un colloque organisé au début du mois par Atout France, l’agence de développement touristique.

Sur le papier, le tourisme semble en forme olympique, avec 102 millions de visiteurs l'an passé – un chiffre en croissance de 2%. La France est une nouvelle fois leader de ce classement, devant l'Espagne (93,8 millions) et les Etats-Unis (72,4 millions). Mais gare aux soupçons de dopage : il faut plutôt parler de "100 millions d'arrivées internationales", corrige auprès de franceinfo Patrick Eveno, maître de conférences associé à l'Institut de recherche et d'études supérieures du tourisme (Irest), à l'université Paris-I.

De nombreux transits en direction de l'Europe du Sud

"Une même personne venant en France trois ou quatre fois dans l’année pourra être comptabilisée autant de fois", souligne le chercheur, qui prend l'exemple d'une famille néerlandaise de quatre personnes, en route pour passer quinze jours en Espagne. Si elle s'arrête une nuit au Futuroscope, elle sera comptée pour quatre en France, et encore pour quatre au retour, si elle choisit de s'arrêter à nouveau pour passer la nuit. Soit huit arrivées au total pour deux nuits. Avec ce mode de calcul, "l'Espagne, quant à elle, n’aura comptabilisé que quatre arrivées internationales pour deux semaines. On voit bien les limites de l’indicateur favorisant cet effet de leadership en trompe-l'œil."

"Vous avez énormément de pays du Nord qui profitent de nos infrastructures routières pour aller en Italie, en Espagne ou en Suisse. Mais c'est un transit apprécié."

Patrick Eveno, économiste spécialiste du tourisme à franceinfo

à franceinfo

La France, en raison de sa situation géographique, enregistre de nombreux transits, de l'ordre de la nuitée. Ces données sont souvent parcellaires, avec des méthodologies variables selon les régions, regrette le chercheur. "Cette idée de leader du tourisme a été beaucoup véhiculée et la France s'est endormie, commente Patrick Eveno. Et surtout, on ne cherche plus trop à modifier et affiner le calcul de ces chiffres. Parce que sinon, il y a de grandes chances qu'on ne soit plus leader à l'arrivée."

Ces critiques valent également pour les pays voisins, qui ont chacun leur méthodologie. La France, leader du tourisme ? "Globalement, c'était une illusion d'optique, confirme Sylvain Zeghni, maître de conférences à l'université Gustave-Eiffel. Cela fait très longtemps que la France a décroché au niveau des recettes." Notre pays a perdu la première place du classement en 1999, soulignait une ancienne note de l'Insee, et il pointe toujours à la quatrième position après les Etats-Unis, l'Espagne et le Royaume-Uni. Avec 71 milliards d'euros en 2024, selon Atout France, il reste loin des 126 milliards engrangés par notre voisin de l'autre côté des Pyrénées.

A peine plus de nuitées que la Grèce

Le décompte des nuitées conforte cette analyse. L'an passé, l'Espagne a enregistré 322 millions de nuitées de visiteurs étrangers, devant l'Italie (253 millions), selon les données nationales compilées par l'agence européenne Eurostat. Loin derrière, la France (140 millions) fait à peine mieux que la Grèce (128 millions).

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La France compte quelques pôles bien identifiés, comme Paris. "La capitale donne 2,5 jours en moyenne de visite pour ses visiteurs étrangers, ce qui est logique pour une capitale", analyse Patrick Eveno. Sur la Côte d'Azur, les séjours ont une "durée inférieure à une semaine", ce qui reste supérieur à la moyenne en France. La durée du séjour est sensiblement la même dans les stations de sports d'hiver, par exemple dans les Alpes. Disneyland est le premier site touristique de France, avec 15 millions de visiteurs, dont la moitié de visiteurs internationaux. Mais pour de courts séjours.

Les visiteurs étrangers semblent avoir la bougeotte sur le reste du territoire, alors qu'ils prennent leur temps sur la Costa Brava. Tous les acteurs en conviennent : l'Espagne parvient à maintenir plus longtemps les touristes sur son territoire. Le pays ibérique est désormais perçu comme un incontournable du tourisme balnéaire, et bénéficie d'un bon rapport qualité-prix. En 2021, les prix de la restauration y étaient inférieurs de 7% à la moyenne de l'UE, alors qu'ils étaient de 17% supérieurs en France. Les hôtels français indépendants sont plutôt vieillissants et ne comptent en moyenne qu'une quarantaine de chambres, ajoute Patrick Eveno.

Objectif : attirer les touristes les plus dépensiers

"Le modèle espagnol, c'est l'hôtel où on reste dix jours ou deux semaines, parce que c'est un petit peu moins cher, alors qu'en France, ce seront des campings où l'on dépense un peu moins et sur des périodes plus courtes", résume le chercheur. Mais l'Espagne "a aussi renouvelé sa politique touristique il y a quinze ans, pour aller au-delà des grands immeubles en bord de mer. L'image de Barcelone et de Madrid s'est renouvelée et attire des jeunes, les clients de l'avenir, quand il ne se passe plus grand-chose la nuit à Paris", ajoute Sylvain Zeghni. L'Espagne tire également parti de son ensoleillement, de ses bonnes dessertes et du poids des croisières, au risque d'alimenter le surtourisme.

En France, alors que le secteur a longtemps eu pour mantra la quantité de visiteurs, avec cet objectif des 100 millions, c'est désormais la qualité de ces touristes étrangers – ou plutôt le niveau des recettes associées – qui agite les professionnels. Reste à attirer les plus dépensiers.

Cette mission a été confiée à Atout France, qui est à la fois un groupement d'intérêt économique et une agence d'opérateurs de l'Etat. "Ce système hybride a des difficultés à assurer une vraie promotion comme en Espagne ou en Italie, avec une manière plus commerciale de faire les choses", observe Patrick Eveno. Selon lui, ce sont des événements comme le Tour de France ou les JO qui diffusent surtout l'image de notre pays.

"La France a fait trop longtemps du tourisme de 'cueillette', en se contentant d'exploiter des incontournables comme la tour Eiffel, le vin et les beaux paysages."

Sylvain Zeghni, chercheur spécialiste du tourisme

à franceinfo

L'accessibilité du territoire fait partie des leviers discutés. Paris est un immense pôle aéroportuaire, avec 100 millions de passagers par an, loin devant les 15 millions de Nice. "Mais si vous êtes américain, par exemple, il est difficile de venir sur l'île de Ré. Le tourisme international s'accommode mal des trajets qui ne sont pas linéaires", explique Patrick Eveno. Le tourisme international peine encore à irriguer l'ensemble du territoire français, faute d'encouragement à sortir de la capitale. "Pourquoi ne pas installer à Paris des offices de tourisme pour les différentes régions ?", s'interroge le chercheur.

Développer le tourisme d'affaires, une piste à l'étude

Les recettes touristiques, en Europe et ailleurs, reposent souvent sur des vols à bas prix et des aéroports fréquentés, ce qui pose question en plein changement climatique. Quoi qu'il en soit, le low-cost a développé de nouvelles destinations pour les jeunes dans toute l'Europe, renforçant encore la concurrence sur le continent. Par le passé, "on a eu tendance à se fixer des objectifs sur une clientèle lointaine, notamment asiatique, ajoute Sylvain Zeghni. Ces visiteurs dépensent beaucoup, certes, mais ils ne restent pas longtemps et ne reviendront pas forcément, car c'est parfois le voyage d'une vie." D'autant que Paris affronte une concurrence féroce, à Londres, Vienne ou ailleurs, "pour devenir leur destination finale en Europe, celle où ils feront tous leurs achats de luxe avant de rentrer".

Le développement du tourisme d'affaires fait partie des pistes à l'étude. Taxis, hôtels, restaurants... A volume égal, il génère en effet trois fois plus de dépenses que le tourisme de loisir. "Quand l'Allemagne nous titille sur les recettes, ce n'est pas grâce à ses plages, mais bien grâce au tourisme d'affaires, résume Patrick Eveno. Il n'y a aucun aéroport aussi grand qu'à Paris, mais il y en a beaucoup qui font 30 ou 40 millions de passagers, ce qui assure l'accessibilité." Le tourisme d'affaires présente l'avantage de fonctionner toute l'année, quand le tourisme de loisir fait défaut.

Si la France veut générer 100 milliards d'euros de recettes internationales, comme l'appelait de ses vœux le président de l'Alliance France Tourisme, Dominique Marcel, les acteurs du tourisme français pourraient chercher à monter en gamme. Ils devront, en tout cas, convaincre les visiteurs étrangers de rester plus longtemps sur le territoire. "La France n'est pas leader en volume, mais elle l'est peut-être pour sa pluralité de tourisme : ski, festivals, stations balnéaires, destinations rurales..., sourit Patrick Eveno. Toutefois, pour faire évoluer les recettes, il faut maintenant avoir une stratégie à long terme, ce qui fait défaut aujourd'hui."