Handicap : une directive européenne entre en vigueur ce samedi pour rendre les achats sur internet plus accessibles

Vers une petite «révolution» pour les achats sur internet pour les personnes handicapées : en vertu d'une nouvelle réglementation, qui entre en vigueur ce samedi 28 juin, les sociétés privées proposant des services numériques (faire ses courses, réserver un billet…) vont devoir les rendre accessibles à tous, y compris par exemple aux malvoyants. «Pour payer un taxi ou des courses avec une carte bancaire, acheter un billet de transport, avec les écrans tactiles de plus en plus courants, un aveugle ne sent qu'une vitre lisse, et non plus des touches. Nous sommes obligés de donner notre code confidentiel au commerçant ou à un accompagnant», explique Bruno Gendron, président de la Fédération des aveugles de France.

«Sélectionner les produits, les mettre dans un panier, choisir un créneau de livraison : à chaque étape on peut se retrouver bloqué si une case n'est pas correctement codée», confirme Manuel Pereira, chargé de l'accessibilité numérique à l'association Valentin Haüy, qui agit en faveur des 70.000 aveugles et 1,5 million de malvoyants. Le pire, dit-il, c'est le «Captcha», cette mosaïque d'images destinée à prévenir des demandes robotisées, qui demande de sélectionner par exemple des motos : impossible pour un aveugle. Sur les 202 sites de e-commerce passés au crible par cette fédération, quatre seulement sont «pleinement conformes aux obligations légales» d'accessibilité. Ils sont 28 sur les 57 services bancaires analysés.

Sous-titrages et police adaptée

En vertu de la directive européenne European Accessibility Act (EAA) de 2019, qui entre en vigueur samedi en France, les entreprises proposant des biens et services dans le e-commerce, les transports, banques, télécommunications et audiovisuel et livres numériques devront les rendre accessibles. Des délais existent toutefois pour certains services et produits afin de se mettre en règle, précise la Répression des fraudes (DGCCRF) à l'AFP.

Jusqu'alors, ces obligations pesaient sur les administrations et entreprises privées réalisant plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Les entreprises ayant moins de 10 salariés et réalisant moins de deux millions d'euros de chiffre d'affaires en seront exemptées. Les sites et produits devront être adaptés à tous les handicaps : sous-titrages des vidéos pour les malentendants, langage simplifié pour les handicaps cognitifs, police de caractères adaptée aux troubles «dys»...

Il faudra permettre à un déficient visuel ou un handicapé moteur de naviguer avec ses aides techniques (synthèse vocale, loupe...) ou des raccourcis clavier, et fournir une alternative textuelle aux images contenant de l'information. «Alors que le numérique est un passage obligé et pourrait faciliter le quotidien des personnes handicapées, beaucoup de sites ne leur sont pas accessibles... et augmentent leur exclusion», explique Moïse Akbaraly, cofondateur d'Ipedis, un cabinet spécialisé qui accompagne les entreprises.

«Gros défi»

«En rendant le site accessible aux personnes handicapées, qu'on estime à 17% de la population, on améliore l'expérience de l'ensemble des utilisateurs», ajoute-t-il. Une «révolution» qui va se faire par étapes, selon l'Arcom, le gendarme du numérique. Beaucoup de sites ne sont pas prêts. «C'est un gros défi. Cela va être progressif. Nous allons engager un travail de sensibilisation pour que tous les acteurs et entreprises concernés (sites des médias et livres numériques) comprennent leurs obligations et les mettent en œuvre», explique Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom.

L'Arcom sera chargée, avec la Répression des fraudes, de contrôler la mise en application de la réglementation. «Le secteur du e-commerce est mobilisé, mais la mise en œuvre est complexe», confirme Erika Klein, responsable juridique de la Fevad (Fédération e-commerce et vente à distance). «Cela demande de revoir complètement la conception des sites, ce qui représente une charge technique, humaine et financière importante.»

Les spécialistes s'accordent à dire qu'il faut intégrer les dispositifs d'accessibilité dès la conception du site : il est difficile et coûteux de changer un site existant. Ils souhaitent que l'accessibilité soit intégrée dans la formation des professionnels du numérique, peu formés actuellement. «Tout ne va pas changer en un jour, mais à partir de samedi les individus et les associations auront la possibilité de saisir les autorités de contrôle pour faire respecter la loi», souligne Manuel Pereira.