En Espagne, gouvernement et opposition se déchirent après l’interruption de la Vuelta par des militants propalestiniens
L’histoire du cyclisme retiendra sans doute l’image de ce podium de fortune. Trois glacières alignées dans le parking d’un grand hôtel madrilène devant le panneau des annonceurs de la Vuelta. Sur chacune des marches improvisées, les champions de la 90e édition du tour d’Espagne à vélo, Jonas Vingegaard, João Almeida et Tom Pidcock. La course s’est achevée après trois semaines de compétition mouvementée. L’organisation s’est avouée incapable d’assurer la tenue de la cérémonie de remise des médailles, après avoir échoué aussi à mener à son terme la vingt et unième et ultime étape, celle de la traditionnelle arrivée à Madrid.
En cause: des activistes propalestiniens condamnant la participation à la course de l’équipe Israel Premier Tech, et qui ont interrompu des étapes, en ont abrégé d’autres, et forcé l’abandon d’un coureur victime d’une chute. Quelque 100 000 personnes ont affiché leur solidarité avec la Palestine, dont ils brandissaient drapeaux et symboles. Une minorité d’entre eux, peu après 18h15 dimanche, a projeté les barrières de sécurité sur la piste de la Vuelta. L’action était vraisemblablement concertée: au cri de « ¡Ya! » (« Maintenant ! »), les clôtures ont volé sur la chaussée, barrant la route aux cyclistes qui arrivaient. Devant la gare d’Atocha, la place Colón et celle de Callao, les activistes ont agi de manière « parfaitement planifiée », selon la description d’une source policière à la radio Cadena SER. Certains ont affronté la police, dont 22 agents ont été blessés, et deux individus ont été interpellés.
Passer la publicitéIndignation de la droite
Selon un récent sondage de l’Institut royal Elcano, 82% des Espagnols considèrent que le terme de « génocide » est adapté pour décrire la situation à Gaza. La gauche au gouvernement, et en premier lieu le chef de l’exécutif, le socialiste Pedro Sanchez, ont félicité les manifestants de leur engagement « pour la paix », selon le mot du préfet de Madrid, dont le rôle était d’assurer le bon déroulement de l’événement. Sanchez, à la pointe de la cause palestinienne depuis la reconnaissance de l’État palestinien par l’Espagne en mai 2024, et qui utilise lui-même publiquement le mot de « génocide » depuis une semaine, a affirmé dimanche - avant que les incidents aient lieu à Madrid - son « admiration pour le peuple espagnol qui se mobilise pour des causes justes, comme la Palestine ».
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L’opposition de droite, qui sait son électorat divisé sur le Proche-Orient, a attaqué Pedro Sanchez sans rentrer dans le fond de la question israélo-palestinienne. Un chef de l’exécutif « qui encourage la violence entre compatriotes ne peut pas être à la tête du gouvernement » a accusé le président du Parti populaire (PP, droite), Alberto Nuñez Feijoo. Ce qui n’a pas empêché Sanchez de faire monter d’un cran ses propositions. Devant les parlementaires socialistes, il a proposé ce lundi d’exclure Israël des compétitions sportives. « Pourquoi la Russie a-t-elle été expulsée après l’invasion de l’Ukraine et Israël n’est-il pas expulsé après l’invasion de Gaza ?, s’est-il interrogé. Tant que durera la barbarie, Israël ne doit pouvoir utiliser aucune plateforme internationale pour blanchir [son image, NDLR] ».
L’exécutif s’est-il laissé déborder ? « La manifestation allait se produire de toute manière, que les responsables publics interviennent ou non, souligne Pablo Simon, professeur de science politique à l’université Carlos III de Madrid. Protester lors d’un événement cycliste, en extérieur, est très facile ». Pour éviter toute possibilité de débordement, « il aurait fallu militariser chaque kilomètre. En dehors du coût logistique, il aurait fallu accepter que la police aille matraquer des activistes qui sont potentiellement des électeurs de la gauche au pouvoir, ce qui aurait eu un coût électoral que le gouvernement a voulu éviter », considère Pablo Simon. Quitte à payer celui de l’inaction… voire des procès en radicalisme ou en antisémitisme de la part d’une partie de la population. Outre les déclarations outrées du gouvernement Netanyahou, dont Madrid a désormais l’habitude, la Fédération des communautés juives espagnoles (FCJE) a dénoncé « des manifestations violentes qui alimentent la haine et donnent une couverture à une montée inquiétante de l’antisémitisme en Espagne depuis deux ans ».