Le suspense est retombé petit à petit. Ce jeudi matin, il suffisait de voir que les groupes d’opposition n’avaient pas désigné leurs principales figures de proue comme «orateurs» pour comprendre que le sort de la motion de censure de la gauche non-socialiste était scellé d’avance. Résultat, après plus de trois heures d’examen, le dénouement est finalement tombé à la mi-journée : les mélenchonistes, les écologistes et les communistes ont échoué à renverser le gouvernement Lecornu. Le texte de censure défendu par l’Insoumise Aurélie Trouvé n’a recueilli «que» 271 voix, soit 18 de moins que le seuil requis pour faire tomber le premier ministre (289 voix).
Ce, en dépit d’un renfort venu des bancs nationalistes, où les lepénistes du RN et les ciottistes de l’UDR ont pourtant voté le texte, aux côtés de LFI. Du côté des Verts et du PCF, la motion a quasiment fait le plein aussi, tandis que sept «frondeurs» socialistes (Christian Baptiste, Béatrice Bellay, Paul Christophle, Peio Dufau, Fatiha Keloua Hachi, Philippe Naillet, Jiovanny William) ont bel et bien bravé la consigne d’Olivier Faure, comme cela avait été annoncé cette semaine. Un peu plus tard, la motion de censure du RN, elle, a encore plus largement échoué à faire tomber le gouvernement, avec seulement 144 voix favorables, les parlementaires de gauche ne l’ayant pas soutenue.
Passer la publicitéAprès de longues vacances parlementaires, brièvement interrompues par la session qui a conduit à la chute de François Bayrou, la séance de ce jeudi marquait la véritable reprise des travaux en Hémicycle. Dans une ambiance tantôt électrique tantôt très calme, les orateurs ont pris la parole, les uns après les autres, à la tribune de l’Assemblée. L’Insoumise Aurélie Trouvé a donné la couleur d’entrée en accusant Sébastien Lecornu et les macronistes de «saccager les fondements mêmes de la démocratie». «Emmanuel Macron n’est plus le garant des institutions de notre pays. (...) Censurer aujourd’hui, c’est prouver son attachement viscéral à la démocratie et dire à nos concitoyens que leurs voix comptent encore», a-t-elle ensuite tancé. Avant de s’adresser aux socialistes : «La suspension de la réforme des retraites est un leurre. (...) À tous ceux qui se disent héritiers de Jean Jaurès : montrez ce courage et censurez !»
Les socialistes sauvent Sébastien Lecornu
Signe que les regards étaient évidemment tournés vers les 69 députés du groupe PS. Car depuis l’annonce par Sébastien Lecornu de la «suspension» de la réforme des retraites «dès l’automne et jusqu’à l’élection présidentielle», ces derniers avaient fait savoir, par la voix de leur premier secrétaire, qu’ils ne voteraient pas cette censure, se félicitant d’une «victoire». La question du nombre de dissidents demeurait toutefois ces derniers jours, plusieurs élus ayant assumé leur désaccord. «Nous comprenons intimement et parfaitement les raisonnements de nos autres collègues de gauche à vouloir censurer votre gouvernement. Notre non-censure d’aujourd’hui n’est évidemment pas un pacte de non-censure. Nous ne nous engageons à rien et surtout pas à voter le budget récessif», a expliqué, à la tribune le député PS Laurent Baumel.
Avant de préciser que «trois raisons» avaient fait pencher la décision des socialistes de côté-là... Au risque de susciter des moqueries : «Garder mon siège, garder mon siège, garder mon siège», chambre un député RN dans l’hémicycle. «La gamelle, la gamelle !», s’amuse un autre. «On peut ergoter, minorer. Nous nous sommes fiers d’avoir exercé ce rapport de force. Monsieur le premier ministre, nous faisons le pari qu’une forme d’intelligence collective peut encore émerger du bourbier», poursuit Laurent Baumel avant de conclure : «Voyez cette non-censure comme un sursis et comme un appel au sursaut».
«Esprit de compromis»
Le premier ministre, lui, a fait court. Très court. Il s’est contenté, sous les cris réguliers du RN et de LFI, de rappeler l’«esprit de compromis» qui l’anime et la «volonté de faire en sorte que les débats soient ouverts». «Mesdames et messieurs les parlementaires, ces motions de censure sont inédites dans l’histoire de la Ve République, car ce serait la première fois que l’Assemblée nationale se censurerait elle-même», a-t-il également lancé. Il succédait à Marine Le Pen qui, du haut de la tribune avait critiqué un «spectacle pathétique (...), poison pour notre démocratie».
«Le système politique est à bout de souffle, à bout d’idées, et le pays est à bout de force (...). Le RN attend le jour de la dissolution avec une impatience croissante. (...) Ce que nous vivons n’est pas une crise politique, c’est une crise politicienne», a également cinglé la double-finaliste de la présidentielle. «Je censurerai un gouvernement socialiste dont Monsieur Hollande est devenu le vice-premier ministre», a quant à lui fustigé son allié de l’Union des droites pour la République (UDR), Éric Ciotti. Nombre des attaques nationalistes ont d’ailleurs visé Les Républicains, dont le chef de file Laurent Wauquiez avait appelé à ne pas voter la censure au nom de la stabilité. «S’il y avait une majorité, nous serions dans l’opposition et nous voterions contre le budget. Mais il n’y en a pas», a justifié le député LR Jean-Didier Berger, alors que, dans l’Hémicycle, un député RN lui lançait : «Elle est bonne la soupe, hein !».
Passer la publicitéLe gouvernement n’ayant donc désormais presque aucune chance de tomber ce jeudi, les débats budgétaires vont pouvoir commencer dès lundi, en commission des finances, à l’Assemblée. Avec nombre d’incertitudes sur l’issue des discussions... Y compris celle d’une possible censure à venir dans les prochaines semaines.