Santé mentale fragilisée, agressivité et féminicides en hausse… Ces autres effets néfastes des fortes chaleurs

Une vague de chaleur qui gagne du terrain. Après avoir touché le Sud-Ouest, le deuxième grand épisode de canicule de l'été s'abat sur le reste de l'Hexagone. Des températures de 38,5°C ont été enregistrées mardi 12 août dans la vallée du Rhône, où plusieurs départements restent placés en vigilance rouge mercredi, tandis que la région parisienne fait face à des températures supérieures à 36°C, bien au-dessus des moyennes saisonnières, selon Météo-France.

Ces fortes chaleurs ne sont pas sans conséquence sur la santé humaine. Déshydratation, manque de sommeil, coup de chaleur… Les hautes températures mettent à rude épreuve les corps, et plus spécifiquement ceux des populations à risque comme les enfants, les personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques ou encore les travailleurs en plein air. Mais ces épisodes extrêmes, associés à différents facteurs comportementaux et sociétaux, peuvent avoir d'autres effets néfastes et dramatiques sur la population, qui sont encore trop sous-estimés.

Les fortes températures engendrent de l'agressivité

Avec la canicule, les esprits s'échauffent. Une étude de synthèse du Health Science Reports, datant de 2023, rapporte que "la réponse physiologique au stress face aux températures élevées comprend la libération d'hormones de stress comme l'adrénaline et le cortisol". Des hormones qui peuvent entraîner "des sentiments d'irritabilité, d'agitation et une sensibilité émotionnelle accrue".

"L'hypothalamus, le régulateur thermique de notre corps, est connecté aux centres émotionnels, et son hyperactivité perturbe l'humeur", explique Gérald Kierzek, médecin urgentiste et directeur médical de Doctissimo. "Les privations de sommeil avec des nuits trop chaudes, les restrictions sociales en étant confiné à l'intérieur et l'inconfort permanent participent aussi à créer de l'irritabilité", continue-t-il.

Tous ces facteurs peuvent engendrer de l'agressivité, voire des comportements violents. Les augmentations de températures ou "les précipitations plus extrêmes augmentent la fréquence des violences interpersonnelles de 4%, et celle des conflits intergroupes de 14%", estimait une étude de synthèse de la revue Science, publiée en 2013.

"On le voit par exemple avec ces gens qui s'énervent plus facilement dans les voitures : l'irritabilité est une réponse primaire face à ce que notre corps perçoit comme une agression de l'environnement", explique Jérôme Palazzolo, psychiatre à Nice. "Une fois que l'on sait que la chaleur provoque de l'énervement chez nous, il est possible d'adapter ses comportements, par exemple en ne prenant pas la route dans ces conditions", recommande-t-il.

Les violences contre les femmes augmentent

L'initiative Spotlight de l'ONU, qui lutte contre les violences envers les femmes, avait lancé l'alerte en avril : le changement climatique et les conditions météorologiques extrêmes exacerbent "les tensions sociales et économiques qui alimentent la hausse des violences faites aux femmes et aux filles". Dans un rapport, ce groupe estime ainsi que "chaque augmentation de 1°C de la température mondiale est associée à une augmentation de 4,7% des violences conjugales". Une étude espagnole, effectuée en 2018 et citée par le rapport, constatait même que le nombre de féminicides s'accroissait de 28% durant les vagues de chaleur.

Un triste phénomène que l'on retrouve en France, où les crimes de ce genre augmentent durant la période estivale. Les femmes se retrouvent plus facilement "en huis clos avec leur conjoint puisqu'ils se calfeutrent, or on sait que ces situations sont propices à l'augmentation des violences, laissant les femmes à la merci de leur bourreau", a expliqué mardi dans Le Parisien Sylvaine Grévin, présidente de la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF), qui a recensé au moins une quinzaine de féminicides conjugaux depuis le début de l'été.

Les associations de défense des droits des femmes citées dans le même article pointent d'autres facteurs augmentant les risques, comme la consommation d'alcool, plus abondante durant l'été, l'isolement à "l'écart des cercles familiaux et amicaux" dans des destinations de vacances, ou encore les effectifs réduits de policiers, médecins et d'interlocuteurs dans le milieu associatif. Dans un contexte d'épisodes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents, le rapport de Spotlight insiste donc sur la nécessité "d'intégrer la prévention des violences basées sur le genre à tous les niveaux des politiques climatiques, des stratégies locales aux mécanismes de financement internationaux".

La canicule crée des risques pour la santé mentale

Plusieurs facteurs peuvent agir sur la santé mentale durant les épisodes de canicule. "La mauvaise qualité du sommeil à cause de la chaleur peut majorer les troubles anxieux", assure Jérôme Palazzo. 

"L'augmentation de la température au-delà du seuil de 36,8°C va créer un brouillard cérébral, ou l'on va moins produire moins de sérotonine, l'hormone du bonheur, ce qui va affecter le moral."

Jérôme Palazzo, psychiatre

à franceinfo

Néanmoins, les données pour estimer l'ampleur de ces effets restent très parcellaires. "On continue à ignorer beaucoup de choses sur les conséquences, en matière de santé mentale, de la montée mondiale des températures", résumaient les auteurs d'une étude de synthèse publiée en 2023 dans The Lancet Planetary Health. Les recherches "vont dans le sens d'un lien entre la hausse des températures et les risques de suicide", notent-ils, même si "elles sont très hétérogènes par leurs méthodologies comme par leurs résultats".

Les vagues de chaleur semblent ainsi associées à une augmentation de 9,7% du nombre de passages aux urgences pour maladie mentale, toujours selon la synthèse de The Lancet. Un niveau qui peut lourdement peser sur des services déjà en tension, notamment en période estivale.

Les risques sont par ailleurs bien établis en qui concerne les patients déjà suivis pour une pathologie mentale. "Lorsque les patients sont déshydratés, les médicaments se retrouvent davantage concentrés dans le corps, ce qui peut être dangereux et augmenter les effets indésirables", explique Jérôme Palazzolo. Pour éviter tout risque et limiter les effets de la canicule, le psychiatre a plusieurs recommandations : "Eviter de sortir aux heures où il fait le plus chaud, effectuer des activités physiques modérées, éviter l'alcool, et, évidemment, boire beaucoup d'eau."


Si vous êtes victime de violences conjugales, ou si vous êtes inquiet pour une membre de votre entourage, il existe un service d'écoute anonyme, le 3919, joignable gratuitement 24h/24 et 7 jours sur 7. Il est aussi possible d'envoyer un signalement sur une messagerie instantanée. D'autres informations sont également disponibles sur le site Service-public.fr.

Si vous avez des pensées suicidaires, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne en souffrance, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro national 3114 est joignable 24h/24 et 7 jours sur 7 et met à disposition des ressources sur son site. L'association Suicide écoute propose un service similaire au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont disponibles sur le site du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités.