Bertrand Blier et les femmes : entre misogynie et rôles essentiels

Catalogué ces dernières années pour une vision misogyne des femmes, Bertrand Blier, disparu le 21 janvier à l’âge de 85 ans, n’en a pas moins construit un cinéma qui tourne totalement autour d’elles. Ne seraient-elles pas, d’ailleurs, le moteur de sa façon de représenter le désir, et sa façon de prendre, le plus souvent de biais, les mécaniques des histoires d’amour dont il a souvent dynamité les clichés ? Trois films semblent raconter cela, en ayant des personnages féminins au centre de trios amoureux qui reflètent quelque chose de l’imperfection des sentiments. Dès Les Valseuses (1974), Blier met en scène trois personnages : deux hommes, incarnés par Patrick Dewaere et Gerard Depardieu, se retrouvent avec une même femme, Miou-Miou. En cavale à travers la France, ils traversent le film en compagnie de la fille obligée de les suivre. Le film est construit sur une suite de violences sexuelles, que Blier dépeint avec force et légèreté – ce qui rend le film problématique aujourd’hui. Le regard sur le film, en 2025, change : il est presque comme un témoignage de ce qu’il était permis de représenter et la façon dont on a pu traiter les femmes, en laissant des hommes les dominer. C’est d’autant plus caricatural que les deux hommes en question sont des voyous patentés. Blier esquisse-t-il là une forme de ménage à trois ? En tout cas, le film fonctionne avec ce trio, lui-même dysfonctionnel. 

   

Neuf ans plus tard, Blier réalise La femme de mon pote, une comédie moins violente, mais tout aussi axée sur les histoires à trois. Cette fois-ci, le trio ne cavale pas, il est plutôt isolé dans une station de ski :Thierry Lhermitte, Coluche et Isabelle Huppert vivent un vaudeville amoureux dans la neige et le film, qui repose sur les talents comiques des deux acteurs alors très en vogue dans la comédie française, est surtout porté par la présence magnétique de l’actrice dont le corps fait tourner les têtes des deux hommes, dévoilant leurs insécurités et mesquineries aussi, tour à tour. Passant de l’amour de l’un à celui de l’autre et vice-versa, elle est la clé de la question amoureuse qui secoue tout le récit. Sans elle, il n’y a pas d’histoire, donc pas de cinéma ; jusqu’à son arrivée, la vie des deux hommes était la vie tranquille d’une amitié masculine un peu basse du front. C’est la femme qui fait exploser cela et injecte dans le masculin des questionnements inédits et des changements de positionnement. Blier, au-delà de la comédie, semble filmer cela : le vacillement des certitudes.

Ce qui est aussi le cas dans son film Trop belle pour toi où il organise une histoire dans laquelle Gérard Depardieu, marié à Carole Bouquet, tombe amoureux de Josiane Balasko. Certes, en 1989, date de sortie du film, Balasko a déjà été l’actrice des Hommes Préfèrent les Grosses (1981), comédie à succès bâtie sur un même principe : banale et trop ronde, Balasko est tout de même, déjà, celle que les garçons préfèrent. Dans Trop belle Pour toi, Blier pousse le curseur : les trois acteurs sont connus au-delà du film, et leurs corps, leurs visages sont en eux-mêmes iconiques. Carole Bouquet est égérie de Chanel et Balasko est une figure de la comédie. En quelque sorte, Blier tente de capter quelque chose de l’impossibilité d’anticiper un sentiment amoureux et que les hiérarchies sociales, les critères de sélection et de beauté, peuvent aussi être renversés, détournés, par le fait de tomber amoureux. Et même si l’ordre social finit toujours, chez lui par triompher, reprendre ses droits et sa normalité, il n’empêche qu’il parvient à filmer quelque chose de l’ordre de la disruption – et celle-ci intervient toujours par le féminin : les hommes ne sont que des machines en marche, qui se dirigent selon un désir que la femme construit, émet, provoque.