VIDEO. "Le plus grand pari scientifique de l'histoire" : un documentaire retrace la course à l'arme nucléaire jusqu'aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki

Le 6 août 1945, pour la première fois de l'histoire, une bombe atomique, larguée par les Américains, s'abat sur la ville japonaise d'Hiroshima. Le 9 août, le feu nucléaire raye la ville de Nagasaki de la carte. Plus de 200 000 Japonais trouvent la mort en trois jours. De nombreuses victimes sont tuées sur le coup, d'autres perdent la vie dans les semaines et les mois suivants, des suites de leurs blessures ou à cause des radiations radioactives. D'une puissance impitoyable, cette nouvelle bombe fait entrer le monde dans l'âge nucléaire, marqué par une capacité de destruction apocalyptique.

Le documentaire intitulé Hiroshima, la course vers l'apocalypse, réalisé par David Korn-Brzoza, coécrit avec l'historien Olivier Wieviorka et porté par la voix de Vincent Lindon, est diffusé mardi 5 août à 21h10 sur France 2. Le film, riche d'images d'archives saisissantes, livre un récit rigoureux et détaillé de ce tournant de la guerre et interroge le bien-fondé de la fabrication de cette bombe qui a changé la face du monde. Il retrace la course effrénée à l'atome menée par des centaines de scientifiques aux Etats-Unis au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Le réalisateur revient pour franceinfo sur cet épisode majeur de l'histoire.

Franceinfo : Pourquoi avoir réalisé un film sur la bombe atomique ?

David Korn-Brzoza : J'ai réalisé plusieurs films sur la Seconde Guerre mondiale sous différents angles, sur la Résistance, sur Hitler… Avec la maison de production avec laquelle j'ai travaillé sur Pearl Harbor, nous nous sommes dit que pour les 80 ans d'Hiroshima, il fallait absolument faire un film sur cet épisode qui est un tournant absolu, dans l'histoire du siècle et l'histoire de l'humanité. Pour la première fois, l'humain peut s'autodétruire dans cette course à l'atome dont on ne voit pas l'issue aujourd'hui, puisque plusieurs puissances souhaitent s'en doter. On se demande d'ailleurs comment tout cela va finir. 

C'est en Allemagne que se dessinent les prémices d'une bombe atomique ? 

Oui, la fission de l'atome est découverte en 1938 par deux chimistes allemands, Otto Hahn et Lise Meitner. A l'époque, de nombreux scientifiques voient dans cette découverte une possible application militaire et donc un potentiel danger. Alors que la guerre fait rage en 1939, le physicien juif hongrois Léo Szilard, qui travaille sur le nucléaire, persuade Albert Einstein, réfugié depuis 1933 aux Etats-Unis, d'alerter le président américain Franklin Roosevelt sur la dangerosité d'une telle innovation et ses conséquences dévastatrices si les Allemands développaient ce type de bombe et qu'Hitler s'en emparait.

Pourquoi Hitler ne développe-t-il pas, finalement, la bombe atomique ?

Pour Hitler, la physique de l'atome, c'est une physique juive. Il n'y croit pas et même s'il y croyait, il n'irait pas sur cette voie, parce que ses armées traditionnelles, à ce moment-là, remportent succès sur succès. Toute l'Europe occidentale est envahie en quelques semaines, il envisage d'attaquer à l'Est, rien ne lui résiste, donc l'atome n'est pas une priorité pour lui. Il y a cependant un vrai programme atomique dans les laboratoires allemands, mais leurs meilleurs scientifiques, majoritairement d'origine juive, ont quitté l'Allemagne nazie et sont déjà aux Etats-Unis. Ce sont finalement eux qui vont participer au développement de la bombe américaine. Pour ces scientifiques en exil, la recherche nucléaire devient une forme de croisade. Contraints de fuir l'Europe face à la barbarie nazie, ils trouvent dans cette quête une manière de riposter à l'Allemagne qu’ils ont dû fuir — même si, finalement, la bombe frappera finalement le Japon.

"L'antisémitisme d'Hitler a participé à son échec scientifique pendant cette guerre."

David Korn-Brzoza, réalisateur

Dans le documentaire "Hiroshima, la course vers l'apocalypse"

Ce n'est qu'à la défaite de l'Allemagne que l'on va découvrir que toutes les orientations scientifiques qu'avaient prises ses chercheurs n'allaient pas aboutir à une bombe allemande, qu'ils étaient encore très loin de la maîtriser. Mais durant toute la guerre, les alliés ont eu peur de l'Allemagne et de sa puissance technologique. C'était le seul pays à posséder des V1, des bombes volantes sans pilotes, et surtout des V2, les premiers missiles balistiques de l'histoire.

Initialement, cette bombe est créée pour frapper l'Allemagne, pourtant les Américains ne semblent pas pressés de se lancer dans sa fabrication…

Au départ, Roosevelt ne comprend pas de quoi on lui parle. L'Amérique est encore très isolationniste, Pearl Harbor n'a pas encore eu lieu, donc le président américain donne une enveloppe de 6 000 dollars pour lancer un Comité consultatif pour l'uranium. Une somme dérisoire. Au début, il paye pour voir, car la fabrication de la bombe atomique s'avère être le plus grand pari scientifique de l'histoire qui coûtera au final deux milliards de dollars et sera baptisé "Projet Manhattan".

Cette nouvelle arme, destinée à l'origine à neutraliser une potentielle bombe nucléaire allemande, ne sera pas prête à temps. En mai 1945, l'Allemagne capitule, le 16 juillet a lieu le premier essai de la bombe dans le désert du Nouveau-Mexique, et le 6 août, elle est finalement larguée sur Hiroshima. Ce film a été très intéressant à faire, car soudain, on comprend que les Etats-Unis luttaient vraiment sur trois fronts à la fois : le front européen occidental, le front pacifique et le front scientifique. Finalement, c'est la puissance industrielle américaine qui a gagné la guerre.

Lorsque les scientifiques font exploser la bombe atomique pour la première fois dans le désert du Nouveau-Mexique, ont-ils conscience de sa dangerosité ? 

Quand la première bombe explose, c'est un essai totalement inédit même pour eux. Ils ne savent pas du tout ce que cela va donner. C'est une bombe au plutonium. En fait, il y a deux technologies : celle de l'uranium et celle du plutonium. L'uranium est assez maîtrisé, mais pas le plutonium. Lorsqu'ils réalisent cet essai dans le désert, ils contemplent un énorme champignon atomique devant eux et constatent sa puissance de destruction.

Ils savent que cela va provoquer des centaines de milliers de morts, mais je trouve que l'on fait parfois un faux procès aux bombes atomiques dans le sens où, en mars 1945, il y a des dizaines de bombardiers B-29 qui larguent des bombes sur Tokyo et qui font 100 000 morts. C'est sensiblement le même nombre de morts qu'à Hiroshima. Ils n'ont pas attendu la bombe atomique pour tuer en masse. La Seconde Guerre mondiale est une guerre affreuse et les civils de tous les pays sont frappés. 

Robert Oppenheimer, souvent surnommé "le père de la bombe atomique", ne semble pourtant pas très à l'aise avec cette arme…

Dans l'esprit d'Oppenheimer, développer la bombe atomique, c'était la promesse qu'il n'y ait plus aucune guerre. Il se disait que cette bombe allait être tellement puissante que tous les conflits seraient arrêtés, puisque cette arme suprême pourrait détruire l'humanité en deux clics. Malheureusement, il se rend compte qu'il s'est trompé. C'est pourquoi, quelques années après Hiroshima et Nagasaki, il citera un proverbe hindou, comme on peut le voir dans une séquence du documentaire :"Maintenant, je suis devenu la mort, le destructeur des mondes." Il était sincère.

Pourquoi les villes d'Hiroshima et de Nagasaki ont-elles été choisies ? 

Les Américains avaient une liste de villes, de cibles principales et de cibles secondaires, en cas de mauvais temps ou de problèmes techniques. Ils ont choisi Hiroshima, parce qu'il y avait une industrie militaire, mais surtout parce que c'était une ville intacte. Ils voulaient frapper une ville indemne pour pouvoir mesurer le pouvoir de destruction de la bombe. Il y avait également des considérations scientifiques, car la bombe a été programmée pour exploser à 600 mètres de hauteur afin de rayonner plus largement et de tuer le plus de gens possible, mais le second objectif était d'éviter qu'il y ait trop de radiations radioactives au sol, elles ont d'ailleurs disparu assez rapidement. 

Pour la seconde cible, la ville de Kokura avait d'abord été choisie, car elle possédait un puissant arsenal, mais les mauvaises conditions météorologiques ont conduit les Américains à frapper Nagasaki, où le ciel était plus dégagé.

Le Japon était à bout de souffle en 1945, est-ce que l'usage de la bombe était vraiment nécessaire ?

C'est très compliqué de répondre à cette question, car on ne peut pas réécrire l'histoire. Effectivement, le Japon était au bord de la reddition à ce moment-là, mais la bataille d'Okinawa, qui s'est déroulée entre le 1er avril et le 22 juin 1945, et qui a coûté à la vie à près de 200 000 Japonais et 14 000 Américains, a démontré que le pays ne montrait aucun signe de capitulation, ni de négociation.

Le documentaire Hiroshima, la course vers l'apocalypse, réalisé par David Korn-Brzoza et coécrit avec Olivier Wieviorka, est diffusé mardi 5 août à 21h10 sur France 2 et sur la plateforme france.tv.