C’est un squelette. Il a appartenu à Josef Mengele. L’écart entre deux dents le prouve. Des étudiants de Sao Paulo, en 2023, contemplent la chose. Parmi eux, il y a des jumeaux. Le détail a son importance. Il rappelle les expérimentations auxquelles se livrait le médecin maudit d’Auschwitz. La Disparition de Josef Mengele se poursuit dans le passé, effectue de brusques allers et retours entre les années 1950 et 1970.
Le bourreau s’est réfugié en Amérique du Sud. Au Brésil, après-guerre, il a des airs de Monsieur Tout-le-monde. Cela ne l’empêche pas de se méfier, de surveiller ses arrières quand il sort. Sa fébrilité saute aux yeux. Drôle de bonhomme. On le voit changer d’adresse et d’identité. Ses noms d’emprunt fournissent leur titre aux chapitres du film. Ses adresses varient, entre Argentine et Paraguay.
Passer la publicitéUn drapeau nazi sur un gâteau
Il se terre, persuadé qu’on le traque. Le Mal ne ressemble à rien. Le retraité de l’horreur fait un monstre très banal, terriblement moyen, dans son tricot de peau, avec sa petite moustache. August Diehl est méconnaissable, derrière ses lunettes de soleil et sous son chapeau de feutre. Le héros - terme 100 % inapproprié - se remarie avec son ex-belle-sœur. Sur le gâteau est planté un drapeau nazi. On vérifie par là qu’il n’a rien renié. Il pique de brusques colères, râle sans arrêt. Il se cache dans la ferme reculée d’un couple de Hongrois. Il les traite de gitans, peste contre les menus au paprika, déclenche une pathétique bagarre à table.
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En 1977, son fils Rolf lui rend visite. Le jeune homme en survêtement voudrait savoir au juste ce qu’a commis son père. Ce dernier lui demande de se couper les cheveux. Mengele est voûté, au bout du rouleau, fantôme capricieux et paranoïaque. Ses justifications résonnent dans le vide. La peur suinte par tous les pores de sa peau. La solitude l’accompagne. L’ange de la mort vit cloîtré, perdu dans sa nuit et son brouillard, affolé à l’idée que le Mossad lui mette la main dessus. La télévision diffuse des extraits du procès Eichmann. Il avait un chien : c’était un berger allemand.
Pour adapter le roman d’Olivier Guez, Kirill Serebrennikov a choisi une caméra sinueuse, agitée, un montage aux allures de cauchemar, explorant les faubourgs lugubres de cet esprit malin. Cela compose un puzzle en noir et blanc, dérangeant, à la respiration saccadée. Comment peindre une énigme ? C’est une eau-forte. Triste, fascinant spectacle. Soudain, des images du camp envahissent l’écran. Elles sont en couleurs. Le diabolique chirurgien accueille les prisonniers, désigne les futures victimes, préside aux opérations barbares. Dans le bloc, son sourire éclate. La science, tu parles. Cela donne froid dans le dos. La meilleure période de sa vie, c’était donc ça. Le personnage reste opaque. Il se prenait pour un dieu. Il se planquait comme un rat. Tout ça pour ça.