L’affaire des chiens de chasse abattus par un membre d’une communauté alternative de Chanéac en Ardèche réveille le souvenir d’un fait divers qui avait défrayé la chronique à la fin des années 70. Le prévenu qui comparaît ce jeudi 3 avril devant le tribunal de Privas est le fils de Pierre Conty, traqué par les gendarmes après un hold-up sanglant et surnommé alors dans la presse le «tueur fou de l’Ardèche». L’homme, qui ne sera jamais retrouvé malgré l’arrestation de ses complices, avait installé une première communauté à Rochebesse, un lieu-dit voisin de la coopérative agricole Longo Maï aujourd’hui incriminée, suscitant là aussi des frictions avec les Ardéchois de souche.
Braquage sanglant
«Chasse à l’homme», «rage de tuer», «équipée sanglante», les mots sont forts en une du Figaro pour qualifier le fait divers qui terrorise l’Ardèche en cette fin d’été. Voilà les faits: Le 24 août 1977, deux hommes accompagnés d’un chauffeur braquent le Crédit Agricole de Villefort en Lozère, menaçant les employés avec un pistolet-mitrailleur et un revolver. Prenant la fuite avec leur butin de 40.000 francs (équivalent à environ 27.000 euros aujourd’hui), les malfaiteurs s’élancent sur les routes sinueuses de l’Ardèche à bord d’une DS volée. Mais faisant demi-tour dans un cul-de-sac à Saint-André-Lachamp, ils se trouvent nez à nez avec une estafette de la gendarmerie de Joyeuse. L’un des hommes tire et blesse mortellement Daniel Luczak, 21 ans, originaire de Béthune. Le second gendarme Henri Klinz, 28 ans, réussit à s’enfuir dans le ravin, épargné selon lui par le second truand.
Reprenant leur course folle, les bandits blessent un automobiliste puis heurtent une Renault 12 à Pont-de-Labeaume. Un simple froissement de tôle. À bord, deux jeunes gens dont Roland Malosse, 21 ans. Arrive ensuite une Peugeot 204 conduite par Cyprien Malosse le père de Roland. Les gangsters font feu. Roland et Cyprien qui se rendaient à leur rucher sont abattus, l’autre jeune homme réussit à échapper aux balles. Abandonnant leur DS accidentée, les deux tueurs sautent alors dans la 204 dont le moteur tourne encore, jettent à terre le corps de l’infortuné conducteur et s‘enfuient. La voiture est retrouvée le lendemain à Saint-Germain-Laprade, à dix kilomètres du Puy-en-Velay (Haute-Loire). «C‘est dans cette localité que l‘on perd la trace des tueurs, malgré les battues, les rondes d‘hélicoptères et l‘intervention de chiens policiers», raconte Le Figaro. Mais la longue traque continue maintenant que le principal protagoniste est identifié grâce à des lunettes oubliées dans le véhicule. Il s’agit de Pierre Conty.
Reportage sur les terres du tueur
La presse alors s’intéresse à ce drôle d’individu, symbole de ce mouvement hippie et anarchiste, adepte du retour à la terre et de la vie en communauté, en rupture avec la société capitaliste. En septembre, Le Figaro se rend sur «les terres du tueur fou de l’Ardèche», au hameau de Rochebesse, à Chanéac, dans les contreforts du mont Mézenc. Le reporter Serge Chauvel-Leroux rencontre la compagne de Conty, Maïté Merlhiot, «une beauté à la Ava Gardner, avec le signe de Rahmah tatoué sur la paume de la main et un dessin cabalistique gravé sur le front», mère d’un petit garçon, et qui a repris l’exploitation. «Avec le temps, assure-t-elle, nous sommes devenus de bons professionnels. Nous sommes même en avance sur les agriculteurs de la vallée».
Le journaliste raconte l’arrivée dans les effluves de mai 68 de ce colosse barbu, ancien fraiseur-ajusteur à Grenoble, «violent, tonitruant», mais «infatigable à la tâche». Suffisamment pour se faire respecter par les habitants du coin dans une campagne désertée par les jeunes. Le maire du village facilite son installation dans le hameau abandonné en l’aidant à obtenir des prêts auprès du Crédit Agricole. Des 30 hectares de culture et de pâturage légalement exploités, Pierre Conty passe à plus de 200, «squattérisés». Des terres en friche qui, selon son point de vue, appartiennent à ceux qui les cultivent. «Ce sont ses procédés sauvages, anarchiques qui ont fini par le rendre odieux, affirme le président local de la FNSEA, alors que, dans le même temps, à quelques kilomètres de chez Conty, des expériences de retour à la terre du même genre réussissaient parfaitement à l’intérieur même de la légalité».
C’est surtout quand les héritiers ont voulu récupérer les terres que la situation s’est tendue. Il fallait se débarrasser de ce «trublion», devenu agressif et perturbateur. Plainte déposée, un jugement ordonne au squatteur de libérer les lieux à la fin du mois d’août. C’est alors, selon les témoins, que Pierre Conty vrille et fomente son mauvais coup avec deux complices, Jean-Pierre Mouillot et Stéphane Viaux-Peccate. Ou comment passer du «flower power» aux «fleurs du mal», notera le chroniqueur judiciaire Pierre Bois au procès.
Le fugitif
Stéphane Viaux-Peccate est arrêté aux Pays-Bas en octobre lors d’une descente contre des membres de la bande à Baader, Mouillot se rend en février 1978. Tous deux, jugés aux assises de Privas en 1980 sont condamnés respectivement à 18 et 5 ans de prison. Conty, défendu par Robert Badinter, est condamné à mort par contumace. Car l’homme est toujours un fugitif. Qu’est-il devenu? Le mystère reste à ce jour entier malgré les hypothèses et les nouveaux témoignages régulièrement dévoilés. En 1977, le ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet, laisse entendre que Pierre Conty est mort, abattu par des camarades ou les services de renseignement. Pour Henri Klinz, le gendarme rescapé qui a mené l’enquête et publié un livre en 2017, «le tueur fou de l’Ardèche» s’est échappé à l’étranger.