Giorgio Armani: « Ma haute couture fait entrer la fantaisie dans le monde réel, dans le quotidien de mes clientes »

Il n’y a pas que les maisons françaises qui investissent dans la pierre de Paris (à l’image d’Hermès qui vient de battre un record immobilier avec l’acquisition de l’immeuble de la « piscine Lutetia» rue de Sèvres, abritant déjà sa boutique). M. Armani vient lui aussi de s’offrir un très beau «palazzo» au 21 rue François 1er (8e), et a pendu sa crémaillère, pourrait-on dire, ce mardi soir, avec les invités de son défilé Armani Privé. Chez lui, donc, entouré de ses clientes inconditionnelles et encore une fois, d’une actrice nommée aux prochains Oscars, la fantastique Demi Moore. Mais qu’importent les célébrités et les mondanités, M. Armani n’a cessé de tracer son propre sillon, et ce défilé intitulé Lumières qui marque les vingt ans de sa haute couture, revisite ses inspirations de toujours. L’Asie centrale, la Chine et l’Inde, les Arts décoratifs, l’Antique ou encore l’orientalisme se lisent au fil des 93 passages, des robes colonnes doriques, des vestes manches pagode, des petits gilets de moujiks, des néo-dhotis aux broderies luxuriantes...

Si son allure fluide et allongée est reconnaissable entre mille, le maestro pousse la sensualité plus loin qu’à l’accoutumée, dans ce fourreau tanzanite qui dévoile la chute des reins ou dans une longue robe en filet brodé retenu par la magie et un bijou de strass dans le creux du dos. Empruntant à Paul Poiret et à la civilisation byzantine, les ensembles tunique-pantalon de dentelle or, broderies miroir et gros boutons cabochons, sont d’une élégance étonnamment joyeuse, aussi opulente que nonchalante... À l’occasion de cet anniversaire, M. Armani est revenu, pour Le Figaro, sur ces deux décennies de couture et d’exploration créative.

LE FIGARO. - Lorsque vous fondez votre prêt-à-porter en 1975, vous révolutionnez l’allure des gens dans la vraie vie. Pourquoi trente ans plus tard, alors que votre maison, votre esthétique étaient déjà célèbres et reconnues, avez-vous eu envie de vous frotter à la haute couture avec Armani Privé ?

Giorgio ARMANI. - Lorsque j’ai lancé ma collection de haute couture, je souhaitais explorer un aspect nouveau et plus créatif de mon métier. En trente ans de carrière, j’avais connu de nombreux succès, j’avais participé à une véritable révolution en interprétant ce que je ressentais comme un besoin de la part du public. En 2005, j’ai ressenti la nécessité de donner libre cours à un côté plus rêveur, mais tout aussi tangible, de ma mode, et en même temps de répondre à une demande précise d’un certain public.

Opulent et facile à porter, cet ensemble revisite l’orientalisme cher à Giorgio Armani. photo: Isidore Montag / Gorunway.com

Était-ce aussi pour répondre aux aspirations de vos clientes les plus privilégiées, en quête de créations exclusives ?

C’est exactement ça. Lancer la ligne Giorgio Armani Privé, c’était reconnaître qu’il y avait, dans l’univers Armani, une clientèle dont le style de vie demandait ce type de vêtements. Comme toujours dans mon univers, la fantaisie et le concret s’unissent et ne font qu’un : je ne fais jamais les choses juste pour le plaisir de l’expression ou comme exercice de style, mais aussi et surtout parce que j’entrevois leur potentiel, réel et concret.

En 2005, vous disiez dans un entretien au Figaro , au sujet de votre première collection Armani Privé : « Mes robes sont faites pour être portées, elles ne donnent pas dans la théâtralité : les lignes sont recherchées, luxueuses tout en restant simples ».

C’est toujours le cas : mes robes, même les plus fantaisistes, sont faites pour être portées, c’est ce qui rend ma haute couture si Armani, si personnelle et aussi si particulière. Ce n’est pas une haute couture conçue comme une pure explosion de fantaisie, mais une haute couture qui fait entrer la fantaisie dans le monde réel, dans le quotidien des clientes qui recherchent ce type de robes.

L’esprit moujik du pantalon rentré dans les bottines, tunique et petit gilet brodé photo: Isidore Montag / Gorunway.com

Ces défilés ont souvent rendu hommage à des cultures, à des périodes qui vous sont particulièrement chères. Est-ce une façon de s’extraire de la frénésie contemporaine et des tendances éphémères ?

À vrai dire, les tendances éphémères ne m’ont jamais intéressé et je m’en suis toujours tenu éloigné. J’ai toujours pensé qu’il valait mieux affiner son langage, quitte à être considéré comme anachronique. Ce qui compte, c’est de regarder ce qui se passe autour de soi et d’agir en conséquence. Voyager à travers les cultures et les continents, proches ou lointains, est pour moi une grande source d’inspiration créatrice et c’est quelque chose que j’ai toujours fait, que je peux libérer et exprimer beaucoup plus clairement dans la haute couture que dans le prêt-à-porter.

L’or de Byzance, la fluidité d’Armani photo: Isidore Montag / Gorunway.com

Quels sont vos plus grands souvenirs de ces deux décennies de couture ?

Mes plus grands souvenirs, ce sont les lieux magnifiques où j’ai présenté mes collections, les personnes inoubliables que j’ai rencontrées. Et à un moment donné, le sentiment d’être accueilli par une ville qui n’est pas toujours facile pour ceux qui viennent de l’extérieur, mais qui, en fin de compte, m’a fait participer à cet événement avec beaucoup d’enthousiasme.