Venezuela : des adolescents emprisonnés accusés de «terrorisme»

Dormir à même le sol, menotté, aux côtés de prisonniers de droit commun, sans accès à sa famille ou à un avocat : c'est ce qu'a vécu Pedro, 17 ans, arrêté lors des manifestations qui ont suivi la réélection contestée du président Nicolas Maduro au Venezuela.

Le lycéen est l'un des 114 adolescents qui ont été emprisonnés dans le cadre de la crise qui a suivi le scrutin du 28 juillet, durant laquelle quelque 2400 personnes ont été arrêtées, de source officielle. Quatre-vingt-six mineurs, dont Pedro - un nom d'emprunt pour qu'il ne soit pas identifié -, ont depuis été libérés. Mais il reste justiciable. «Nous n'avions droit à rien», raconte-t-il à l'AFP. «Le premier jour, j'étais avec tous les adultes arrêtés dans la même affaire, le deuxième, ils nous ont emmenés dans un autre “commando» (prison) et nous ont laissés menottés par terre pour dormir».

27 morts

Le président Nicolas Maduro a été proclamé vainqueur de l'élection par le Conseil national électoral (CNE) qui n'a cependant pas rendu publics les procès-verbaux des bureaux de vote. Selon l'opposition, qui a publié le décompte des voix fourni par ses scrutateurs, son candidat Edmundo Gonzalez Urrutia a obtenu plus de 60% des voix.

Après l'annonce de la réélection du président sortant, des manifestations spontanées ont fait 27 morts et 192 blessés, de source officielle. Selon Human Rights Watch, un jeune de 15 ans a été atteint d'une balle dans la nuque lors d'une manifestation et est décédé.

Les autorités ont lancé une campagne pour débusquer les «terroristes», comme elles ont qualifié les manifestants, et mis en place une ligne téléphonique et une application notamment pour dénoncer les auteurs de «violences». Des organisations de défense des droits humains affirment que de nombreuses personnes détenues ne manifestaient pas, comme l'assure aussi Pedro.

«Très peur» 

«Je regardais la manifestation. J'étais à un pâté de maisons de la manifestation», précise-t-il. «Je ne faisais rien et en plus la manifestation était pacifique», soutient le lycéen, ajoutant avoir été arrêté par des officiers de la Garde nationale. «Ils m'ont agressé physiquement», dénonce-t-il, disant avoir cherché à fuir. Après avoir été «isolé pendant huit jours», il explique avoir été transféré dans un centre de détention pour mineurs, où il a enfin pu voir sa famille.

Sa défense est assurée par un avocat commis d'office, désigné par l'État. Le pouvoir utilise couramment cette stratégie pour les prisonniers qui ne peuvent pas choisir leur propre avocat. Il en va de même pour la plupart des jeunes détenus, selon l'ONG Encuentro, Justicia y Perdon. La cheffe de l'opposition Maria Corina Machado a qualifié ces arrestations d'«enlèvement» d'adolescents et d'enfants.

Le président Maduro a accusé de son côté l'opposition d'avoir recruté les jeunes pour «commettre des crimes», notamment le meurtre d'une femme «parce qu'il fallait tuer» des militants pro-pouvoir.

Lauriannys Cedeño, 17 ans, a été arrêtée le 14 août après qu'un dirigeant communautaire pro-pouvoir a signalé avoir reçu des messages injurieux et menaçants sur son téléphone provenant de plusieurs numéros, dont le sien. «Elle a été emmenée à la prison municipale et a passé la nuit dans le couloir (...), mais les prisonniers ne l'ont pas laissée dormir, sifflant et lui criant des obscénités», a assuré à l'AFP une source liée à l'affaire sous le couvert de l'anonymat. «Elle n'arrêtait pas de pleurer». Lauriannys Cedeño, qui vient d'obtenir son diplôme de fin d'études secondaires avec mention, a été accusée de «terrorisme» et d'«incitation à la haine». «C'est horrible», juge Pedro. «Nous vivons dans l'anxiété, dans la peur, parce que nous ne savons pas ce qui nous attend, rien ne nous protège. Je suis libre mais j'ai très peur».