«Chez vous, en France, il est dangereux de sortir à la tombée de la nuit» : en Pologne, les cercles réactionnaires manifestent contre l’immigration

«Nous ne voulons pas commettre les erreurs de l’Europe de l’Ouest et des Scandinaves !» hurle Robert Bakiewicz, figure du nationalisme polonais, juché sur une petite scène installée en plein cœur du centre-ville de Varsovie. Devant lui, plusieurs centaines de manifestants , drapeaux en main et visages fermés, scandent leur refus catégorique contre toute forme d’immigration. Réunis sous un ciel maussade, les manifestants exhibent fièrement le rouge et le blanc, couleurs nationales, sur leurs banderoles, vestes et autres accessoires.

Tous sont venus afficher leur soutien au Mouvement de Protection des Frontières, lancé par Robert Bakiewicz et plusieurs autres activistes d’ultra-droite. «Toute personne qui ne veut pas instaurer des contrôles systématiques à nos frontières est anti-polonais», s’insurge au micro Janusz Kowalski, député du parti nationaliste-conservateur Droit et Justice et ancien ministre, tout en agitant le risque de «viols et de violences». Parmi la foule, Patrycja, 44 ans, est venue prendre part au cortège avec sa jeune fille de 7ans, Alaya. «Chez vous, en France, il est maintenant dangereux de sortir à la tombée de la nuit», grogne-t-elle.

Au micro, Robert Bakiewicz, figure du nationalisme polonais. Adam Hsakou

Bien que la mobilisation reste modeste, la police a pris soin de déployer un dispositif important. L’une des artères centrales de Varsovie a été bouclée sur plusieurs kilomètres, et des patrouilles surveillent le périmètre. Tandis que les discours ultranationalistes s’enchaînent, amplifiés par des hauts-parleurs et les vivats, une minute de silence est demandée par les organisateurs. En chœur, le cortège débute alors une prière en la mémoire d’une Polonaise de 41 ans, poignardée trois jours plus tôt par un jeune afghan de 25 ans, à Krefeld, en Allemagne.

L’Allemagne concentre les critiques

C’est justement le voisin occidental de la Pologne qui concentre les critiques. Depuis le 16 septembre dernier, Berlin a rétabli les contrôles à ses frontières terrestres pour freiner l’immigration illégale et la criminalité transfrontalière.

Au-delà des lourds ralentissements que cela impose au commerce, l’ultradroite polonaise accuse l’Allemagne de renvoyer des migrants illégaux vers la Pologne sans coordination préalable. «Nous n’avons pas à payer le prix de leurs erreurs», fulmine Bakiewicz, qui porte une pétition devant le palais du premier ministre, Donald Tusk, l’exhortant d’instaurer des contrôles du côté polonais. «Notre objectif est de lancer une opération de blocage d’ampleur nationale tout au long de la frontière occidentale”, annonce Oskar Szafarowicz, 24 ans, figure montante dans les cercles de jeunes du PiS. A ses côtés, l’activiste Dominik Dzierżanowski se montre confiant : »Nous sommes plusieurs milliers à nous coordonner en ligne», assure-t-il.

Depuis la scène, une rhétorique alarmiste annonce un “raz-de-marée”. Or les chiffres racontent une autre réalité. En 2023, seuls 688 individus ont été renvoyés d’Allemagne vers la Pologne – pour la plupart des citoyens polonais. Le véritable casse-tête concerne les personnes refusées par Berlin mais titulaires d’un titre de séjour en Pologne. En 2024, 9369 cas de ce type ont été enregistrés : près de la moitié sont des ressortissants ukrainiens, les autres venant principalement d’Afghanistan, de Syrie, de Géorgie ou d’Inde.

«Lieux de déportation»

Ces dernières semaines, la mouvance nationaliste s’en est également prise aux centres d’intégration pour migrants, créés pourtant en 2022 par le gouvernement national-conservateur du PiS. L’actuelle coalition libérale, au pouvoir depuis décembre 2023, a choisi de renforcer ces structures locales dans le cadre de sa nouvelle stratégie migratoire. Mais pour les radicaux, ces centres devraient être transformés en «lieux de déportation». Des campagnes de référendum local sont en préparation, pour en réclamer la fermeture.

Longtemps pays d’émigration, la Pologne, confrontée à une des démographies les plus faibles de l’Union européenne, s’est progressivement ouverte à l’immigration. Depuis 2016, elle figure même en tête des Vingt-Sept accueillant le plus d’étrangers non-européens, quelle que soit la couleur politique du gouvernement. Une main-d’œuvre venue principalement d’Ukraine et de Biélorussie, aujourd’hui indispensable à l’économie nationale.

En marge de la manifestation d’ultradroite, un petit groupe de militants de gauche s’est aussi réuni. Elżbieta, la soixantaine, distribue un journal associatif et déplore “la vague réactionnaire” qui, selon elle, submerge le pays. Tandis que Bakiewicz assimile islamisation et violences, elle rappelle un fait passé sous silence par les orateurs du jour : le 7 mai, un étudiant en droit, âgé de 22 ans, a assassiné à coups de hache une employée de l’université de Varsovie et blessé un agent de sécurité, bouleversant un pays peu habitué à de tels drames. “Il s’appelait Mieszko, il était Polonais, caucasien”, souffle Elżbieta avec émotion.