Un journaliste américain découvre sur une image satellite un inédit porte-drones chinois
H.I. Sutton est bien connu des passionnés d’histoires navales, qu’ils racontent avec force de détails et illustrent avec des dessins en coupe de navires ou de sous-marins. Mais, cette fois, le journaliste américain, en collaboration avec J. Michael Dahm, chercheur au Mitchell Institute, a préféré observer les choses d’en haut. En se fondant sur une image satellite du 6 mai 2024 fournie par Airbus, le spécialiste d’OSINT (renseignement en source ouverte, NDLR) a révélé le 15 mai dans Naval News que la Chine avait mis à l’eau un porte-aéronefs léger d’un genre un peu particulier. Son caractère innovant vient du rôle auquel il est probablement affecté : il s’agirait du premier porte-drones spécialement conçu pour cette mission.
Oubliez les grands «supercarriers» américains de 300 mètres de long et plus de 100.000 tonnes de déplacement. Et même les porte-hélicoptères qui font généralement dans les 200 mètres. Le nouveau venu de la marine chinoise est un navire aux dimensions relativement modestes - environ 100 mètres de long par 30 mètres de large - assez comparable aux porte-avions d'escorte de la Seconde Guerre mondiale ou à une petite frégate d’aujourd’hui.
«Exploiter des drones à moindre coût»
Pour la première fois sur un porte-aéronefs, la coque est celle d’un «catamaran très espacé» - architecture qui a souvent fait l’objet de projets, mais qui ne s’est jamais concrétisée dans l’aéronavale. Elle est aussi très basse, ce qui suggère qu’il est «peu probable qu'il y ait un hangar sous le poste de pilotage», notent les deux auteurs qui ajoutent que le pont d’envol est néanmoins suffisamment large pour que «des drones d'une envergure d'environ 20 mètres, comme les équivalents chinois du drone Predator» américain, puissent y décoller et y aponter.
Ce nouveau navire n’est sans doute pas «conçu pour prendre en charge des opérations aériennes à rythme élevé ou prolongées», mais pourrait permettre «d’exploiter des drones à moindre coût depuis la côte». Là est la principale innovation : de même que des drones sont souvent beaucoup plus économiques à produire que des avions ou des missiles (la guerre en Ukraine en atteste), de petites plateformes navales de 100 mètres de long coûteraient bien moins cher à fabriquer que de lourds porte-avions dont le prix exorbitant explique que les rares puissances aéronavales comptent généralement ce type de navires sur les doigts d’une main. Seuls les Américains en possèdent plus de dix (onze lourds et dix plus légers).
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Avec la prolifération des drones et la réduction de la taille des plateformes navales qui les déploient, l’on peut ainsi imaginer la mise en œuvre facilitée de larges essaims de drones, qui font déjà depuis longtemps partie de l’imaginaire de la guerre de demain. Il pourrait d’ailleurs s’agir d’«un navire à vocation expérimentale», observe J. Michael Dahm qui note que le chantier de Jiangsu Dayang Marine a déjà par le passé construit plusieurs navires - notamment des porte-avions - qui sont en réalité des répliques servant à simuler des navires ennemis lors d’exercices. Mais «il s'agit du premier porte-drones au monde, il n'imite donc aucun navire occidental connu», remarque H.I. Sutton.
Les Turcs se prévalent certes d’avoir mis à l’eau le premier «porte-drones» au monde, le TCG Anadolu, mais ce navire mis en service en 2023 - en réalité une copie du Juan Carlos I espagnol - a surtout été qualifié ainsi pour masquer le fait que le navire était au départ prévu pour recevoir des chasseurs américains F-35B, ce qui en aurait fait un petit porte-avions. Mais, suite au refus de Washington de les livrer après le choix des Turcs d’acheter des missiles russes S-400, Ankara n’a pas pu rejoindre ce club exclusif et se serait donc retrouvé avec un simple «porte-hélicoptères». Évoquer un «porte-drones» leur permettait donc de s’en sortir par le haut. De même, l’Iran construit un «porte-drones», le Shahdid Bagheri, mais il s’agit en réalité d’un tanker revisité à des fins militaires par les gardiens de la Révolution.
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D’autres progrès aéronavals en Chine
Bien plus que les porte-aéronefs turc ou iranien, ce mystérieux navire chinois marque une innovation aéronavale certes encore entourée d’incertitude, mais qui n’étonnera pas au regard des progrès de Pékin en la matière. Début mai, le premier porte-avions chinois équipé de catapultes électromagnétiques a commencé ses essais en mer et pourrait être admis au service actif l’année prochaine : ce navire de 80.000 tonnes, le Fujian, représente un bond en avant par rapport aux deux premiers porte-aéronefs lourds chinois de conception beaucoup plus ancienne et leur permet de se rapprocher des standards des «supercarriers» américains. Pékin a aussi récemment évoqué pour la première fois la construction de son quatrième, qui pourrait - conditionnel encore de rigueur - être à propulsion nucléaire.
Cette année toujours, la marine chinoise devrait mettre en service son quatrième porte-hélicoptères de Type 075 et pourrait mettre à l’eau son premier porte-hélicoptères de Type 076, qui est suivi de très près par la communauté navale internationale. En effet, ce navire serait équipé lui aussi de catapultes électromagnétiques : son pont d’envol serait certes trop court pour des avions, mais il pourrait, justement, lui aussi déployer des drones à voilures fixes, plus légers. La Chine pourrait décidément consacrer l’expression de «porte-drones», encore peu usitée.