La Perestroïka de Gorbatchev, un rêve avorté

Conduite par Mikhail Gorbatchev entre 1985 et 1991, la dernière tentative de réforme radicale “Perestroïka” (« Restructuration ») devait sauver le socialisme de type soviétique d’une mort programmée. Officiellement annoncée le 15 octobre 1985 devant le Soviet suprême de l’URSS, cette réforme visait à instaurer un socialisme à visage humain, hérité du vieux rêve du Printemps de Prague de 1968.

Pour Gorbatchev, Premier secrétaire du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS), il s’agissait d’une « seconde révolution » succédant à la révolution bolchevique de 1917, coupable de s’être éloignée de ses objectifs historiques. Dans le but de corriger les dérives totalitaires du stalinisme précédant l’immobilisme sclérosant du brejnévisme, sa politique réformatrice devait remettre l’Union soviétique sur la voie du « projet léniniste fondateur » – qui, réalisme oblige, sera abandonné en chemin.

Tout en s’appuyant sur une meilleure transparence de l’information (“Glasnost”) et visant, au final, une accélération de la croissance (“Uskorenie”), la Perestroïka gorbatchévienne suivait deux axes fondamentaux : d’une part, démocratiser le socialisme sur le plan politique et, d’autre part, renforcer son efficacité sur le plan économique. Sur un plan social, la réussite de cette réforme impliquait l’émergence d’un citoyen actif et éclairé, totalement investi dans la vie de son pays. Cette restructuration avait donc une triple dimension, politique , économique et sociale : c’est une réforme globale du système, répondant à une situation d’urgence.

Dès les années 1970, au vu la baisse tendancielle de la croissance économique, le modèle soviétique semblait bout de souffle. Au début des années 1980, à la suite des sanctions américaines justifiées par l’intervention de l’armée rouge en Afghanistan le 27 décembre 1979, il tend de manière inéluctable vers la croissance zéro et met en danger la survie du régime pour deux raisons. D’abord, l’effondrement de la croissance supprime le surplus financier utilisé par les dirigeants pour acheter la paix sociale en développant la consommation et assurer le développement industriel des 15 républiques soviétiques.

Ensuite, cet effondrement montre l’infériorité du système socialiste par rapport au système capitaliste, incapable de concrétiser la promesse léniniste issue de la révolution d’Octobre 1917 : montrer la supériorité du soviétisme en réalisant une croissance économique supérieure au concurrent américain. Ainsi, l’incapacité des dirigeants soviétiques à satisfaire ces deux objectifs érode peu à peu leur légitimité politique fondant le rôle dirigeant du PCUS et brise le pacte social tacite noué avec le peuple. Aggravée par la coûteuse militarisation du pays, émerge donc une situation de crise latente potentiellement explosive.

Depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, une course folle entre les deux systèmes ennemis – américain et soviétique – s’était engagée. Victimes du syndrome de la « citadelle assiégée », les dirigeants soviétiques ont concentré leurs efforts sur la construction d’un complexe militaro-industriel (CMI) surdimensionné pour défendre le socialisme contre son ennemi historique. En tant que secteur prioritaire, le CMI recevait une large part de l’investissement total prévu par le plan quinquennal : le poids des dépenses militaires soviétiques dans le PNB s’élevait encore à 25% en 1991 ! Politiquement verrouillée par les puissants lobbies ministériels de l’industrie lourde, cette orientation s’exprime par le rôle majeur du CMI dans la croissance soviétique, dont elle reste le moteur jusqu’à la fin des années 80.

Centralement planifiée, cette politique favorable à l’industrie lourde militaire se réalise au détriment de l’industrie légère des biens de consommation, sous-développée et de faible qualité : l’URSS produit alors des « non-marchandises ». Victime d’une crise structurelle et incapable de passer à une croissance plus qualitative et intensive – fondée sur l’amélioration de la productivité – permettant d’améliorer le mode de vie soviétique, ce modèle montre alors ses limites. Un fait aggravant est le conservatisme des Ministères liés aux branches de l’industrie lourde, enclins à renforcer leur pouvoir en préservant leur priorité dans le plan et l’allocation des ressources. En violation des règles doctrinales instaurées par le Parti, ce contre-pouvoir ministériel agit comme un frein politique aux réformes et, par ce biais, comme un accélérateur de crise.

Au sein du peuple soviétique, victime d’une lente dégradation de son pouvoir d’achat, une contestation sociale sournoise se développe et se mue progressivement en contestation politique – potentiellement dangereuse pour le régime. A l’arrivée de Gorbatchev en 1985, grevée par une faible et déclinante productivité de l’économie – via les facteurs capital et travail – , la croissance soviétique reste essentiellement quantitative et extensive, c’est à dire fondée sur l’accumulation des facteurs et non sur l’amélioration de leur productivité. L’économie soviétique semble donc condamnée à la stagnation – sauf, à se réformer. Face aux « mécanismes de freinage » des ministères de l’industrie lourde dénoncés par Gorbatchev, qui bloquent toute velléité de changement menaçant la structure de pouvoir et les intérêts en place, la réforme semble politiquement impossible.

D’autant plus que cette stratégie ministérielle est soutenue par les conservateurs du Parti qui, pour préserver leur rente politique, n’ont aucun intérêt au changement. Pour Abel Aganbéguian, réformateur et conseiller de Gorbatchev, il s’agit véritablement de « soulever les montagnes ». Cela explique et justifie la Perestroïka, ultime et vaine tentative désespérée d’empêcher la « chute finale ». Au final, Gorbatchev sera trahi par le sabotage ministériel avec le blanc-seing de la vieille garde nomenklaturiste du Parti et, son vieux rêve d’un socialisme à visage humain, retombé dans les oubliettes – libérales – de l’Histoire. Le 25 décembre 1991, au soir, sa démission de la présidence de l’URSS actera l’échec de la réforme radicale, face aux « puissantes forces d’inerties ». Fin d’un rêve, un peu fou…

Avant de partir, une dernière chose…

Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :

  • nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
  • nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.

L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.
Je veux en savoir plus