Sur la piste du serpent originel avec Ernesto Neto
Bouclée comme un ange baroque, souriant et solaire, la star de la scène brésilienne, Ernesto Neto, avance en dansant sous sa monumentale sculpture organique, baptisée à titre symbolique « Le La Serpent », sa version d’Adam et Ève. Elle plane au-dessus des deux grands espaces historiques du Bon Marché, le chef-d’œuvre de l’architecture métallique imaginé, en ce XIXe épris de modernité, par Louis-Charles Boileau et Armand Moisant. C’est l’irruption de la vie foisonnante et incontrôlable issue du Nouveau Monde, l’arrivée du Brésil d’aujourd’hui, de sa nature reine et de ses mythes précolombiens dans un monde de mesure et de perfection à la française.
Depuis dix ans, le Bon Marché donne carte blanche à un artiste pour commencer l’année. En bas, le règne du commerce de luxe et ses stands impeccables. Au-dessus de ce monde chuchotant, cette année, Ernesto Neto et ses formes souples qu’un jeu de contrepoids fait tenir dans l’air comme des lianes ou des branches géantes. Nature joviale, il jubile d’être le sculpteur invité dans cette adresse chère aux Parisiens, six mois avant son exposition au Grand Palais, du 6 juin à fin août dans la nef nord, dans le cadre de la saison du Brésil en France, reprise très attendue de son exposition multicolore au Maat de Lisbonne.
Star contemporaine, Ernesto Saboia de Albuquerque Neto, né en 1964 à Rio, a représenté le Brésil à la 49e Biennale de Venise en 2001 et fait alors partie de l’exposition internationale du grand commissaire et critique suisse, feu Harald Szeemann, avec sa sculpture odorante, Plateau of Humankind. On l’a retrouvé depuis, à l’air libre, lors de la Biennale de Sharjah en 2013, dans les Émirats arabes unis, ou bien caché à Paris à la Galerie Max Hetzler qui consacra tout son espace du Marais à son installation d’inspiration végétale, Ultimatum, en 2022. Cet hiver, sa créature métaphorique traverse l’espace et le fameux double escalator du Bon Marché signé Andrée Putman (1989). C’est une invitation au recul et à la pause.
Les volumes suspendus, tressés comme des filets selon une technique inventée par lui dans son « Ateliernave » de Rio, renferment des feuillages et des odeurs de nature, insiste ce Carioca. Ernesto et ses créatures célestes, comme le Léviathan Thot tout en membranes blanches qu’il suspendit en 2006 au Panthéon puis en 2014 dans l’architecture de Frank Gehry au Guggenheim Bilbao. Il y est toujours question de la vie, des principes mâle et femelle, de l’envergure de la nature qui dépasse toutes nos constructions, comme les pains de sucre de sa ville natale. Sa vision du serpent est « positive, car antérieure à celle de la Bible, du péché originel et de la perte du paradis ». « Il s’agit, au contraire, du début du monde des hommes, de la dualité matérielle et physiologique, des nécessités basiques de la vie qui ont créé les civilisations », dit-il avec conviction.
Il faut un certain temps pour la discerner dans son ensemble, le blanc et le beige des filets se confondant avec le blanc et le mordoré de cet ensemble Art déco. Car le blanc, ou du moins le ton le plus diaphane, est de règle dans cette commande à un artiste d’une œuvre qui défie l’architecture, l’activité humaine, l’espace et le temps. Avant lui, l’artiste chinois Ai Weiwei le peupla de sculptures lumineuses en papier. La sculptrice Prune Nourry y fit voler des flèches d’amazone. Chiharu Shiota, l’artiste japonaise exposée jusqu’au 19 mars au Grand Palais, y fit flotter des nuages blancs. L’artiste indien Subodh Gupta y fit tomber des cascades d’ustensiles de cuisine scintillants. Daniel Buren y fit onduler une mosaïque de carreaux translucides rose pâle et bleu pâle.
« Le La Serpent » par Ernesto Neto, au Bon Marché rive gauche, Sèvres-Babylone (Paris 7e), jusqu’au 23 février.