«Musk, le nouveau Crassus ? De Rome à Washington, le renouveau du triumvirat»

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Black Mesa (Robert Laffont, 2023), son premier roman.


Le premier triumvirat romain (60 av. J.-C) vit l'alliance jusqu'alors inédite de trois figures marquantes de la République romaine : les généraux Jules César et Pompée et le si souvent oublié Crassus (alors l'homme le plus riche de Rome et qui connut, selon la légende, une fin des plus cruelles puisqu'il mourut étouffé par de l'or en fusion versé à même la gorge!). Ensemble, ils parvinrent à affaiblir l'autorité du Sénat et à susciter l'enthousiasme des foules avant que la rivalité croissante entre César et Pompée ne dégénère en guerre civile et ne vienne menacer l'intégrité de la République romaine.

Dans l'optique de protéger des institutions désormais ébranlées, un second triumvirat se forma entre Octave, Marc Antoine et Lépide (43 av. J.-C). Mais l'Histoire est taquine et Octave se mua rapidement en Empereur. L'alliance qui avait pour mission de protéger la République n'aboutit qu'à la création de l'Empire.

Mais alors qu'est-ce que ceci aurait à voir avec la présidentielle américaine de 2024 ? Pour la première fois dans l'histoire des États-Unis nous avons une campagne présidentielle «asymétrique», Kamala Harris et Tim Walz d'un côté, Donald Trump, J.D. Vance et… Elon Musk de l'autre ! Alors certes la présence de Musk est officieuse mais ceci ne l'empêche nullement d'accélérer le rythme de ses conférences pro-Trump en se focalisant tout particulièrement sur la Pennsylvanie tant cet état est considéré comme crucial pour emporter l'élection présidentielle.

Celui que ses adeptes surnomment le «véritable Iron Man» a tenu son premier meeting de soutien à Donald Trump dans l'état de Pennsylvanie ce 17 Octobre. Musk affirme : «J'ai trois conférences prévues en Pennsylvanie, mais j'en ferai probablement une demi-douzaine dans tout l'État»Plus révélateur encore, le multimilliardaire promet un gagnant à un million de dollars, chaque jour après tirage au sort, pour les signataires de sa pétition en faveur de la «liberté d'expression» et pour la préservation du deuxième amendement qui concerne le port d'armes. Face à une telle activité d'Elon Musk, comment appréhender sa place et celle de J.D. Vance au sein de ce qui ressemble de fort près à un triumvirat ?

Les origines sud-africaines de Musk l'éloignant de la possibilité de briguer un jour la présidence pour lui-même, il se contente pour l'instant de promettre d'aider Trump à réformer l'État fédéral en cas de victoire.

Ophélie Roque

Originaire de l'Ohio et ayant connu une enfance marquée par la pauvreté (racontée dans son livre à succès «Hillbilly Elegy»), Vance réussit l'exploit d'être tout à la fois «bankable» et aimé des électeurs de la classe ouvrière. Fervent défenseur du nationalisme économique et figure de proue du conservatisme social, il prône le renforcement de l'industrie manufacturière américaine et revendique une approche isolationniste en politique étrangère. Il estime notamment que les États-Unis devraient cesser l'envoi de sommes astronomiques en faveur de l'Ukraine pour se concentrer sur la sécurité intérieure de leur propre pays et laisser les alliés européens se dépatouiller tous seuls des sables mouvants qui les engluent. Vance est celui qui prêche un discours conservateur tout en faisant montre d'une certaine pondération (si ce n'est dans les idées, du moins dans leur formulation).

Et qui mieux qu'Elon Musk pour incarner le rêve d'une technologie sans limites et personnifier l'American Dream construit à grands coups de billets ? Plus qu'un soutien anecdotique, Elon diffuse en masse un contenu pro-Trump à ses 200 millions d'abonnés sur X. Pour l'instant, on estime que près d'un milliard et demi de «tweets» en faveur de l'ex-président furent affichés. Et la campagne est loin d'être finie !

Par ailleurs, le milliardaire a investi plus de 75 millions de dollars dans la création d'un comité d'action politique (PAC) visant à promouvoir liberté d'expression et sécurité nationale. L'articulation entre les deux pôles étant loin d'être simple, l'on se demande comment le milliardaire va parvenir à interconnecter ces deux grands principes. Les origines sud-africaines de Musk l'éloignant de la possibilité de briguer un jour la présidence pour lui-même, il se contente pour l'instant de promettre d'aider Trump à réformer l'État fédéral en cas de victoire. Et peu importe si ceci vient perturber un rôle d'habitude attribué au vice-président. Petite précision utile, les triumvirats finirent invariablement par l'éviction des deux autres dirigeants au profit d'un seul.