À Design Miami, l’engagement sans faille de Fendi

Entre la mode et le design, il n’y a qu’un pas ! Figure discrète dans ce monde de paillettes, Silvia Venturini Fendi, la directrice artistique des lignes homme et accessoires femme (trente ans aux côtés de feu Karl Lagerfeld) l’a franchi, il y a seize ans. L’héritière de la troisième génération de la maison de luxe fondée à Rome, en 1925, par ses grands-parents, Adele et Edoardo Fendi, a engagé la marque dans un solide partenariat avec Design Miami. Le fait d’être issue d’une lignée de femmes (sa grand-mère a eu cinq filles, sa mère trois et elle, deux, Delfina Delettrez Fendi en charge de la joaillerie et Leonetta Luciano Fendi, la cadette, de l’éco-design) lui a donné cette sensibilité toute particulière pour les matières chatoyantes et les formes sensuelles.

Dessin préparatoire du designer britannique Lewis Kemmenoe Fendi

À tendance très américaine, de plus en plus contemporaine et de moins en moins vintage, la foire Design Miami (35 galeries dans le secteur principal, 15 dans celui « Curios », 22 partenaires) se tient début décembre, dans la ville de Floride, et mi-juin, à Bâle en Suisse, mais s’est aussi déclinée depuis 2023 en Design Miami Paris. En octobre, la deuxième édition a d’ailleurs eu lieu à l’Hôtel de Maisons, noble demeure XVIIIe siècle de la rive gauche, longtemps habitée par Karl Lagerfeld : il n’est pas dit que Fendi n’y soit présent un jour… En attendant, à Miami où se rend la crème des collectionneurs pour goûter au soleil en hiver, il est question pour la marque d’y présenter un projet pertinent, voire expérimental, en soutien à la création. Et de donner sa chance à un talent jugé prometteur. Un formidable tremplin en termes d’image pour l’élu de cette année, Lewis Kemmenoe, designer britannique de 29 ans, basé à Londres, tout juste sorti de Central Saint Martins et du Royal College of Art, auteur de la collection « Aenigma », répondant à l’engagement de Fendi dans l’artisanat de luxe. Le nom de ce poulain nous est encore peu connu. Mais sa carrière en plein devenir. 

Silvia Fendi ROBIN HILLFendi

Sous la grande tente blanche de Design Miami qui a fermé ses portes dimanche, juste en face du Convention Center accueillant Art Basel, Fendi s’est fait d’autant plus remarquer, dans ce parterre déserté par les marques de luxe, nombre d’entre elles préférant l’art au design, pour asseoir leur communication. À l’instar de Louis Vuitton (dans le giron de LVMH comme Fendi), présent non pas ici mais à Art Basel Miami l’an dernier, avec la collection sur mesure de Frank Gehry pour Louis Vuitton

«Une chaise, au-delà de sa fonctionnalité, a une histoire, presque une âme »

Pour Silvia Venturini Fendi qui a inauguré, en 2022, le nouvel atelier de maroquinerie à Capannuccia, à quinze kilomètres de Florence - 350 artisans du cuir dans ce site hautement écologique, produisant son huile d’olive - le design a toujours été une évidence. Un choix nourri par une éducation dans la maison du XIXe siècle de sa grand-mère à Rome, « où elle regardait la télé, avec ses sœurs, assises sur des sièges vintage inconfortables dAlvar Aalto  », raconte cette amoureuse des créateurs italiens et japonais ayant l’amour du bois qu’elle marie dans son intérieur. « J’ai très tôt compris qu’une chaise, au-delà de sa fonctionnalité, a une histoire, presque une âme, ajoute-t-elle. Le design n’est pas seulement un acte libre. Il a ses limites et ses contraintes, comme dans la mode, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’art. »

Dessin et réalisation du Peekaboo Soft de Fendi réinterprété par Lewis Kemmenoe Fendi

Son goût est sans frontières. « Je regarde tout ce qui m’attire sur internet et Instagram. Je fais des captures d’écran et, ensuite, je me lance dans des recherches approfondies. La décision vient après avec l’intuition, explique Silvia Venturini Fendi, œil de lynx sous sa crinière blanche, détermination sans faille sous un sourire charmeur à l’italienne. Quand j’ai découvert le mobilier de Kemmenoe, il m’a parlé dans l’instant et rappelé les créations du Brésil où j’ai vécu un temps. Ses jeux de marqueteries sont très proches de la manière dont nous pensons notre travail. Ce qu’il fait avec le bois, nous le faisons avec le cuir. J’adore ce matériau, comme les pierres et tout ce qu’il y a dans la nature faite de contrastes », résume-t-elle. Soucieuse des valeurs de famille que porte la maison, cette passionnée des savoir-faire anciens s’est tout de suite retrouvée dans les œuvres du designer aux géométries savantes, inclusions de matières subtiles et déclinaisons de lumière raffinées.

Lampe organique en laiton, aluminium et bois de ronce de la collection Ænigma par Lewis Kemmenoe pour Fendi ROBIN HILL

« Notre démarche à Design Miami n’a jamais été commerciale. Elle a pour but de lancer un designer, de le faire connaître et évoluer, le plaisir avant tout et pas tellement la médiatisation, précise Silvia Venturini Fendi. Mais rien n’est figé. Les créations à l’état zéro peuvent déboucher sur des collaborations ou des productions, toujours limitées, comme nous l’avons fait avec le designer du Botswana Peter Mabeo. Il a fondé son studio en 2006 mais a dû attendre quinze ans avant que son talent ne soit reconnu à l’international, notamment grâce à la collection pour Fendi, en 2021, mettant en valeur la richesse de l’artisanat de son pays natal, ajoute-t-elle. Nommée Kompa, celle-ci donnait à voir un buffet en feuilles de palmier tressées dans le delta de l’Okavango, en Afrique australe, un fauteuil brut mariant céramique, métal et cordage ou une banquette à l’assise en bois précieux, des pièces diffusées et vendues par Fendi Casa. »

La collaboration avec Lewis Kemmenoe sonne comme un début de conversation qui pourrait se transformer, qui sait, en une collaboration plus pérenne. Elle se rajouterait à une toile où sont déjà inscrits de grands noms qui ne l’étaient pas encore à leur époque, hormis Maria Pergay, comme Dimorestudio, Cristina Celestino, Chiara Andreatti, Sabine Marcelis ou Misha Kahn. À quand une exposition des pièces iconiques qui ont marqué tant d’années de collection à Design Miami, pour montrer le fil rouge de l’engagement de Fendi dans le design ?


Lewis Kemmenoe : « Un travail en miroir avec la palette de Fendi »

Frimousse d’adolescent aux cheveux roux, le « so British » Lewis Kemmenoe est la révélation de Fendi pour Design Miami. Né à Gravesend, dans le Kent, ce talent de 29 ans a été formé dans les meilleures écoles de Londres. Ce qui l’a conduit à dessiner une collection de mobilier aux nobles matières et aux lignes architecturées, dans l’esprit de la maison de luxe romaine.

LE FIGARO. - Le public vous découvre à Design Miami. Comment en êtes-vous arrivé là ?

LEWIS KEMMENOE. - Après les Beaux-Arts à Central Saint Martins, j’ai appris le design au Royal College of Art, à Londres. La formation, expérimentale, a aiguisé mon goût pour la création. J’ai toujours été intéressé par la fabrication d’objets sculptés et concevoir de mes mains. Ce désir a lentement évolué vers la production de meubles fonctionnels, avant de prendre une autre dimension. Il y a un an, j’ai eu ma première exposition à Londres chez Max Radford, un de mes amis. Sous le nom « Metallurgy », mon mobilier était un mariage de métal et de bois. Une dualité dans la matérialité. Et pourtant, l’ensemble était fluide, l’aluminium se fondant avec le grain naturel du bois, à la perfection. 

Lewis Kemmenoe ROBIN HILL

C’est à ce moment-là que vous a repéré la maison Fendi ?

Fendi a effectivement entendu parler de moi par cette exposition. Le staff de la maison est venu voir les pièces dans l’idée de ce projet. Je suis alors allé au Palazzo della Civilta Italiana, leur siège à Rome. Très impressionnant ! C’est là que l’histoire a commencé. En me plongeant dans leurs archives soigneusement classées par année. J’ai passé plusieurs semaines à m’imprégner de leurs collections pour donner du sens à cette collaboration. Tout dans mon travail semblait en miroir avec la palette de Fendi : les formes organiques, les matériaux sophistiqués, les couleurs bien étudiées, les assemblages de cuir en patchwork. 

Que vous a inspiré la marque ?

C’est une marque intrinsèquement romaine. Ma collection de mobilier pour Fendi réinterprète des références à la ville : les pins parasols et leurs écorces, la pierre de travertin, l’albâtre, les enduits à la chaux du Vatican, le lisse et le rugueux des sculptures de la Galerie Borghèse. Comme le fait la marque, j’ai toujours aimé l’art des mélanges ou des contrastes pour provoquer un choc émotionnel. La collection se nomme justement « Aenigma » et le fauteuil en patchwork complexe de placage de bois sur l’extérieur, réalisé comme une marqueterie à l’ancienne, avec son assise intérieure recouverte de métal (aluminium ou laiton), en est l’emblème. Le meuble a une forme contemporaine, presque minimale. Ce contraste lui donne une incroyable énergie. 

Contemporain ou classique alors, dans quelle ligne vous inscrivez-vous ?

Je ne peux pas vraiment définir le style dans lequel je me situe quand j’inclus de l’albâtre dans un meuble ou mélange les bois à la manière des ébénistes des siècles passés. Je me suis nourri des anciens mais je m’inscris dans mon siècle. Mon mobilier peut paraître classique dans la forme mais il ne l’est jamais dans l’exécution. Celle-ci dénote d’une grande sensibilité artisanale, ce qui a sans doute plu à Fendi qui a toujours mis en avant le savoir-faire des artisans. En ce point, nous nous rejoignons pleinement. Et j’espère que le public ressentira cette communion.