Laurence Cossé : « Les bijoux dans l’histoire, c’est la trahison, l’envie, la rivalité, le vol »
C’est l’histoire du Triple Soleil, un bandeau de diamants que Félix Youssoupoff, l’un des assassins de Raspoutine, trouve étonnamment moderne pour l’époque et offre en 1914 à son épouse, la belle Irina Romanova. En pleine révolution russe, le couple part s’exiler en France et cache le bijou sous un escalier de son palais avant de quitter Saint-Pétersbourg. En 1925, ils retrouveront le joyau sur une photographie dans la presse, gisant parmi tant d’autres entre les mains des bolcheviks, prêt à être démantelé. Des destins tragiques comme celui-ci, Laurence Cossé en a découvert des dizaines en se plongeant dans deux siècles d’archives du joaillier Chaumet. Elle les raconte dans son dernier livre, Briller, et dresse le portrait intime de figures brillantes de l’Empire à nos jours. Des récits dignes d’un grand roman, et, pourtant, « que la fiction n’aurait pas pu inventer ! » Rencontre.
LE FIGARO. - Comment est née l’idée de ce livre ?
LAURENCE COSSÉ. - Un jour, Gallimard m’a appelée en me disant que Chaumet, dont je ne connaissais guère que le nom et la capacité créatrice, cherchait un auteur pour écrire un roman sur la maison et proposait d’ouvrir ses deux siècles d’archives. Je ne peux pas résister à quelque chose que je ne connais pas ! Les histoires d’entreprise ne sont pas mon genre, je préfère les bijoux fantaisie aux pierres précieuses, mais je suis fascinée par la beauté. J’ai donc feuilleté des ouvrages sur la haute joaillerie du passé, et découvert des splendeurs, notamment celles de Joseph Chaumet au tournant du XIXe siècle. En les étudiant un peu plus, j’ai compris que le sort commun de ces véritables œuvres d’art (quoi qu’en disent les historiens corsetés idéologiquement, la joaillerie n’est pas seulement un accessoire de mode !) était de disparaître. C’est-à-dire d’être démontées, du fait du chaos politique - Louis XVIII a fait détruire tous les bijoux faits pour la famille de Napoléon, l’ennemi juré -, mais aussi saisies, volées, parfois entre frères et sœurs, cachées, perdues… L’espèce humaine a engendré des milliards de bijoux, c’est un invariant dans l’histoire de l’homme. On en trouve dans toutes les tombes de toutes les civilisations, et pourtant il y en a très peu dans les musées. J’ai donc dit au directeur de Chaumet (à l’époque Jean-Marc Mansvelt, NDLR) : « Le luxe ne m’intéresse pas, mais le tragique, oui. Je vous propose un bouquet d’histoires de disparitions. » À ma très grande surprise, il a accepté !
En quoi la joaillerie est-elle si romanesque ?
Derrière le bijou, il y a toujours un homme – c’est-à-dire une femme. En me plongeant pendant trois ans dans les archives, les ateliers, les dessins, les livres de factures et de visites, j’ai pu mesurer la grande variété des clients, les puissants de ce monde, mais aussi des cocottes, des vedettes de l’ombre, des stars du cinéma, comme les Dolly Sisters dans les années 1930, ces sœurs hongroises devenues reines du music-hall aux États-Unis, et les clientes numéro un de Chaumet dans les Années folles. J’ai retenu des histoires vraies que jamais un écrivain n’aurait pu inventer ! Comme celle de la cassette de Catherine de Wurtemberg dérobée sur les grands chemins en 1814 par un ancien écuyer de son mari, le roi Jérôme Bonaparte, et retrouvée plus tard par un pêcheur à la ligne (par ailleurs fonctionnaire de police) dans la Seine.
Quel est votre récit préféré ?
J’ai découvert grâce à Chaumet un Napoléon qui se fait représenter dans les circonstances officielles en mamamouchi d’opéra ! Un obsédé des diamants… Il en était couvert, des jarretières à la tête. Dans ce récit, je traite aussi de personnages féminins pourtant très connus mais pas sous ce jour, dans leur sensibilité. Lisez ce pas sage où l’impératrice Joséphine est répudiée par son mari. On lui demande de rendre les bijoux qui appartiennent à l’État et de ne garder que ses effets personnels, comme ce diadème signé Nitot, le prédécesseur de Chaumet, mais dont elle prétend que les diamants briolettes ont été remplacés par des pierres médiocres. Une commission d’enquête est alors ouverte et lui confirme que ce sont bien les pierres d’origine. La pauvre Joséphine comprit que, si, deux ans plus tôt, elle était, dans le reflet du miroir, une femme désirable, célèbre dans toute l’Europe et comblée, elle était désormais humiliée. Ses diamants paraissaient soudainement bien ternes. Un jour, un historien m’a dit : « Les pièces de haute joaillerie sont associées à ce qu’il y a de pire dans l’homme. » Tout le marketing consiste à dire que les diamants sont éternels, qu’un bijou scelle les amours à jamais. La vérité est plus complexe. Les bijoux, c’est la trahison, l’envie, la rivalité, le vol. Mais le travail des joailliers est admirable et les œuvres, un ravissement pour l’œil. Vraiment, le beau est une des plus puissantes consolations dans l’existence humaine.
Briller, de Laurence Cossé, aux Éditions Gallimard, 22 € en librairie.