Neuf ans après, retour sur l’invraisemblable braquage de Kim Kardashian à Paris
Dans la soirée du 2 octobre 2016, pendant la fashion week de Paris, le couturier Azzedine Alaïa organise un dîner privé dans la cuisine de son showroom parisien, au 7, rue de Moussy. Comme souvent, le casting y est éclectique. Bianca Jagger, l’architecte américain Peter Marino, Maye Musk (la mère d’Elon Musk), le marchand d’art Thaddaeus Ropac ou le designer Pierre Hardy sont de la fête. Kim Kardashian et sa sœur aînée Kourtney aussi. Toutes deux sont habillées en «Azzedine» et court vêtues. La première porte une brassière blanche pigeonnante assortie à une jupe très moulante et, à son doigt, un solitaire XXL de 18,8 carats offert par son mari d’alors, le rappeur Kanye West. La seconde s’affiche dans une minirobe noire en cuir à découpes. Au menu : œufs brouillés aux truffes et bar vapeur, entre autres. Peu après minuit, les sœurs tournent les talons. Kourtney poursuit sa nuit à l’Arc (une boîte de nuit), accompagnée par Pascal Duvier, le garde du corps de la famille Kardashian. Kim est déposée par Michael Madar, son chauffeur, à 00 h 15 au No Address, un hôtel de luxe de la rue Tronchet particulièrement apprécié des stars pour son calme et sa discrétion, situé dans le tranquille quartier de la Madeleine.
Une scène terrifiante
C’est pourtant entre les murs de cet hôtel très select, dans la suite de 367 m² avec 3 chambres sur 3 niveaux (la «Sky Penthouse» à 15 000 euros la nuit) que Kim Kardashian est victime d’un braquage. Vers 2 h 30 du matin, cinq hommes vêtus de blousons siglés «police» font irruption dans l’hôtel. S’ensuit une scène de film terrifiante : le veilleur de nuit est sommé de les conduire dans la suite de «la femme du rappeur.» La star de 36 ans, au physique plantureux, juste vêtue d’un peignoir blanc en soie, compose le 911 (numéro d’urgence américain qui ne fonctionne pas en France), mais les hommes cagoulés saisissent son téléphone et exigent qu’elle leur remette sa bague («The ring, the ring»). Kim ne comprend rien. Le veilleur de nuit menotté traduit. Puis elle est ligotée avec du ruban adhésif et déposée sur le carrelage de la salle de bains, au pied de la baignoire. Les voleurs s’emparent de la bague, d’un coffret à bijoux, de 1 000 euros en cash et disparaissent dans la nature. Au premier étage du triplex, la styliste de la star, que les braqueurs n’ont pas vue, donne l’alerte. À New York, Kanye West interrompt alors son concert pour «urgence familiale.»
Plus de millions de 9 millions d’euros volés
En moins de dix minutes, plus de 9 millions d’euros de bijoux ont été dérobés, parmi lesquels le fameux solitaire de 18,8 carats – sa bague de fiançailles. Un énorme caillou d’une valeur de près de 4 millions d’euros que l’influenceuse avait posté sur son compte Instagram quelques jours plus tôt, et qui avait été liké par plus d’1,4 million de personnes. Il faut dire qu’à l’époque, la vedette – qui doit l’origine de sa gloire à la diffusion d’une sextape en 2007 – documente sans arrêt ses moindres faits et gestes. Que ce soit à la télévision via l’émission de téléréalité Keeping Up With the Kardashians, qui raconte le quotidien de sa famille, ou sur son compte Instagram aux 85 millions d’abonnés alors.
Un braquage retentissant
Maîtrisant l’art du storytelling et monnayant avec talent une partie de ses posts (jamais moins de 500 000 dollars pour un post sponsorisé), « Kim K » est considérée comme la reine des réseaux sociaux. Voilà qui explique que, des colonnes du Parisien à celles du New York Times, l’agression de cette primo-influenceuse fasse réagir. Aux États-Unis, Hillary Clinton commente l’affaire : «Je me suis sentie vraiment mal pour elle.» Tandis qu’à Paris, Anne Hidalgo rassure les touristes : «C’est un événement très rare qui s’est produit, dans un espace privé, et cela ne remet en aucun cas en cause le travail de notre police ni la sécurité de nos espaces publics » Karl Lagerfeld y va de son commentaire, cinglant comme souvent : «On ne peut pas exhiber sa fortune, puis ensuite être surpris que des gens veuillent leur part du gâteau.» Toujours est-il que peu après l’agression, avant que le soleil ne se lève, la star, en état de choc, remballe ses affaires et quitte Paris à bord de son jet privé. Elle a juste le temps de livrer son témoignage à la police.
Qui est «Omar le Vieux»?
Dans la suite qu’elle vient de quitter, l’enquête de la BRB (Brigade de répression du banditisme) démarre sur les chapeaux de roue. Ruban adhésif, collier de serrage Serflex et menottes placés sous scellés révèlent vite des traces d’ADN. Ce sont celles d’un dénommé Pascal Larbi. Il s’agit en fait d’une identité usurpée par Aomar Aït Khedache, surnommé «Omar le Vieux», malfrat de 60 ans en cavale depuis 2010. Les enquêteurs le considèrent comme le cerveau de l’affaire. Puis, l’exploitation des vidéos des caméras de surveillance du quartier montre, quasiment minute par minute, l’arrivée et la fuite de ce commando constitué d’une équipe de deux hommes à pied et de trois autres à vélo. Sur les vidéos, on peut voir une Peugeot 508 se garer à 500 mètres du No Address : sa plaque d’immatriculation est lisible.
Un travail de filature, de bornage et d’écoutes
Le véhicule appartient à un chauffeur de VTC de 30 ans, domicilié dans le quartier des Bleuets à Créteil, près de Paris, Harminy Aït Khedache… soit le fils d’«Omar le Vieux». Ce n’est pas la seule erreur des malfrats. Au moment de quitter les lieux, l’un d’eux chute de vélo : le sac qu’il transporte se coince dans les rayons. Il en perd un pendentif avec une croix en platine et diamants (valeur 29 000 euros) qu’une passante trouvera dans le caniveau et remettra à la police. Le même malfrat embarque par mégarde le téléphone de Kim Kardashian et s’en débarrasse dans un canal du nord de Paris. Ce sont toutes ces erreurs qui, combinées à un travail de filature, de bornage et d’écoutes, permettent aux hommes de la BRB de remonter à une dizaine de personnes. Le 9 janvier 2017, cinq suspects sont arrêtés et mis en examen avec 8 complices présumés.
Les «pépés nickelés»
Parmi ceux qui auraient participé au braquage, il y aurait notamment «Omar le Vieux», Yunice A. (le maladroit à vélo), Didier D. (alias «Les Yeux bleus») ou Pierre B. Leurs points communs ? Ils sont tous ou presque connus de la police et sexagénaires. Dans la presse, on les appelle déjà «les papys braqueurs», les «pépés nickelés», voire les «Rapetou.» Aux États-Unis, le 2 février 2017 au matin, Kim Kardashian est interrogée. Fait inhabituel, Armelle Briand, juge d’instruction française, et les deux avocats français de la vedette ont fait le déplacement à New York.
Un procès neuf ans après
«C’est un dossier qui est allé très vite au départ, qui est même allé plus vite qu’un autre dossier, notamment car il était particulièrement médiatique. Beaucoup de moyens ont été mis en œuvre, la justice s’est même déplacée à New York pour entendre la partie civile. Tout le paradoxe est là : il y a d’un côté la rapidité de l’instruction judiciaire, puis la lenteur du passage à l’audience, neuf ans après, ce 28 avril 2025, car la réalité c’est que la justice est complètement débordée et manque cruellement de moyens», explique Amaury Auzou, l’avocat de Pierre B. Pendant son audition, la star retrace le scénario du braquage avec un maximum de détails.
Les soupçons de Kim Kardashian
Persuadée qu’un «renseignement venait de l’intérieur», elle fait part de ses soupçons, qui se portent sur Michael et Gary Madar. «Michael Madar a commencé à travailler pour Kanye West, ses showrooms, sa maison de production, et ensuite pour Kim Kardashian via UNIC, sa société de transport et de services. C’est via cette société qu’il a organisé leur fête de prémariage à Versailles, mais aussi tout le transport automobile pour leur mariage à Florence. C’était une grosse activité qui représentait 600 000 euros de chiffre d’affaires annuel. Pendant la Fashion Week de Paris, Michael Madar s’occupe des allées et venues du clan. Tandis que son frère Gary gère l’accueil à l’aéroport», relate Arthur Vercken, l’avocat de Gary Madar.
Aucune trace des bijoux et du gros caillou
L’un des nœuds de ce dossier est bien de savoir comment le gang de braqueurs a su où et quand agir. Encore une fois, ce sont les écoutes téléphoniques qui permettent de remonter à un certain Florus H., tenancier d’un bar parisien, au casier judiciaire déjà garni et régulièrement en contact avec Gary Madar et des membres du commando. Michael Madar, lui, est mis hors de cause. Reste aussi l’épineuse question des bijoux. Car si lors des perquisitions, les policiers ont parfois retrouvé des liasses de billets aux domiciles des suspects (140 000 euros chez Florus H.), aucune trace des bijoux et du gros caillou.
Kim Kardashian revient sur son agression face caméra
Cette fois, c’est un travail d’entraide avec la police belge qui met les enquêteurs sur la piste de Marceau B. (alias «Nez râpé»), présenté comme un spécialiste du recel de bijoux. Son téléphone et celui d’«Omar le Vieux» auraient borné à Anvers trois jours après le braquage. Après les interpellations viennent parfois les aveux. Du moins ceux d’«Omar le Vieux» et de Yunice A., qui semblent déjà confondus. Ce dernier s’expliquera même dans un livre, J’ai séquestré Kim Kardashian (2021). Il n’est pas le seul à communiquer. Après s’être tenue à distance des réseaux sociaux jusqu’en mars 2017, Kim Kardashian revient sur son agression face caméra.
«J’étais sûre qu’ils allaient me tirer une balle dans la tête»
Elle réserve la primeur de ses confidences à son émission de téléréalité, Keeping Up With the Kardashians– épisode 2, saison 13, très suivi lors de sa diffusion. Elle y donne sensiblement les mêmes détails qu’à la police. «Il m’a mis du gros Scotch sur la bouche pour que je ne crie pas. Puis il a pris mes jambes, je n’avais pas d’habit en dessous et il m’a tirée vers lui sur l’avant du lit et je me suis dit, ça y est, il va me violer. Je me suis mentalement préparée pour l’inévitable, mais il ne l’a pas fait. Il a ligoté mes jambes avec du Scotch. Ils avaient mis le revolver sur ma tempe, j’étais sûre qu’ils allaient me tirer une balle dans la tête : j’étais persuadée que je n’allais pas m’en sortir.» Les yeux pleins de larmes, la voix étranglée, elle ne peut s’empêcher de refaire le film de son agression et d’imaginer les pires scénarios. «Soit ils vont me tirer dans le dos, soit je réussis à partir, mais si l’ascenseur tarde à arriver ou que la porte en bas de l’escalier est fermée, je suis foutue. Il n’y a pas d’issue.» Le traumatisme est toujours palpable un an après cette nuit de cauchemar.
Une gestion plus vigilante des réseaux sociaux
Mais neuf ans après les faits, à l’approche de ce procès, qui s’ouvre le 28 avril jusqu’au 23 mai, beaucoup de choses ont changé… Hasard ou suite logique, Kim Kardashian s’est lancée dans des études de droit pour devenir avocate – comme feu son père, Robert Kardashian. Elle a congédié son garde du corps français Pascal Duvier et renforcé sa sécurité (avec 6 gardes du corps à temps plein devant sa maison à L.A.). Son braquage a marqué un tournant, notamment dans la gestion de la communication des stars sur les réseaux sociaux : Kim Kardashian a appris à verrouiller les informations qu’elle divulgue sur ses réseaux sociaux, et notamment à ne plus poster en temps réel et moins exposer sa richesse – elle a d’ailleurs été imitée par d’autres célébrités.
Du statut de bimbo à femme d’affaires
Elle est aussi passée de 85 millions de followers sur Instagram à 357 millions, et du statut de bimbo à celui de femme d’affaires incontestée (selon Forbes, sa fortune s’élevait à 1,7 milliard de dollars en 2024). Kanye West et elle ont divorcé en 2021 – l’un des divorces les plus chers de l’Histoire. Et les «papys braqueurs» ont cumulé les problèmes de santé. Du fait de leur état, de leur grand âge ou faute de preuves, ils ont tous été remis en liberté, certains sous contrôle judiciaire. Pendant ces trois semaines de procès, différents enjeux vont se jouer pour les 12 accusés renvoyés devant les assises.
Des accusés âgés
«Je réserve mes observations sur le fond du dossier à la cour, mais ce que je peux vous dire, c’est que mon client conteste les faits. Par ailleurs, le cas de mon client est particulier. Il est né en 1944, il a aujourd’hui 81 ans, il est atteint, notamment, de la maladie d’Alzheimer et fait l’objet d’un suivi médical important. Je me demande en toute objectivité comment cet homme-là peut comparaître et alimenter un débat de justice. C’est pourquoi, j’ai sollicité auprès du président de la cour d’assises que soit diligentée une expertise médicale afin de savoir s’il sera apte à comparaître à l’audience. Cela me paraît impossible objectivement. Aujourd’hui, je suis en contact avec mon client, mais c’est très difficile, je dois passer par son épouse. C’est toute la complexité de ce procès qui se tient neuf ans après les faits avec des accusés particulièrement âgés», explique Amaury Auzou, avocat de Pierre B.. Pour Yunice Abbas, qui a reconnu les faits, il s’agira de pouvoir s’expliquer. «Aujourd’hui, mon client a 70 ans. À travers l’audience, il souhaite revenir sur les faits qui l’ont conduit jusqu’ici, réaffirmer ses regrets et assumer les responsabilités qui sont les siennes. Un procès qui a lieu neuf ans après les faits, cela n’est jamais satisfaisant. Depuis 2016, le temps a filé, M. Abbas a eu des problèmes de santé. Il a aussi suivi son contrôle judiciaire à la lettre depuis six ans et n’a pas commis le moindre écart. Enfin, le concernant, il s’agit aussi de contester fermement l’accusation d’un nouveau projet de braquage dans le XVIe arrondissement, qui relève du fantasme», explique Gabriel Dumenil, l’avocat de Yunice Abbas. D’autres, comme Gary Madar, suspecté d’être l’informateur, 27 ans à l’époque des faits, ont beaucoup à perdre dans ce procès – il encourt jusqu’à trente ans de prison.
Le top départ de l’opération
«Mon client, qui, soit dit en passant, n’a pas fait un seul jour de prison dans cette affaire, doit être acquitté. C’est pourquoi nous allons plaider non coupable. Il a été dit qu’il avait donné le top départ de cette opération, mais absolument rien ne le prouve. Il est d’ailleurs tout à fait possible que Kim Kardashian, qui a fait fortune en racontant sa vie privée de star sur les réseaux sociaux, ait donné, malgré elle bien entendu, le top départ de cette opération, peut-être en souhaitant “bonne nuit” à ses millions d’abonnés, comme elle le fait souvent. Enfin, il faut ajouter qu’entre 1 heure du matin et 2 h 30, Mme Kardashian était certes rentrée à l’hôtel, mais elle y recevait trois amis, qui sont repartis vingt minutes avant l’attaque. Personne ne parle de cette piste. On ne sait pas qui ils sont et ils n’ont donc jamais été interrogés», précise Arthur Vercken. Et puis il y a aussi les victimes oubliées, tel M. Ouatiki, le veilleur de nuit qui travaillait au No Address le soir du braquage, et qui souffre d’un syndrome post-traumatique. «C’est aussi la portée de cette affaire, qui met en lumière deux réalités : celle de Mme Kardashian, une star, auditionnée à New York, et dont on ne sait pas encore si elle viendra au procès, et celle de mon client, monsieur ou madame Tout-le-Monde en quelque sorte, étudiant au moment des faits, comme de nombreux autres qui travaillent difficilement pour financer leurs études, et qui souhaite être présent au procès pour enfin faire valoir ses droits de victime», explique son avocat, Mohand Ouidja.
Kim Kardashian viendra-t-elle au procès ?
Quelques semaines avant le procès, les questions sans réponses se bousculent. La surexposition de la victime sur les réseaux sociaux en 2016 a-t-elle joué un rôle dans ce braquage ? La défense peut-elle se prévaloir de cela ? Qui sont les trois amis de la star qui ont quitté sa suite vers 2 h 30 du matin ? Auraient-ils pu donner le top départ de l’opération ? Où se trouvent les bijoux de Kim Kardashian ? Le grand âge des suspects doit-il peser dans la balance au moment du verdict ? Et enfin, la question qui est sur toutes les lèvres : Kim Kardashian fera-t-elle le déplacement à Paris ? Interviendra-t-elle en visioconférence au moins une fois depuis L.A. ? Seule certitude à ce stade : cette affaire, qui a vu naître plusieurs livres et documentaires ces dernières années, n’a pas fini d’alimenter les fantasmes…