« Le wokisme, n’est-ce pas un peu une légende urbaine ? » : Michel Houellebecq face à l’état du monde
Michel Houellebecq a fait faux bond au pape François, préférant échanger avec deux professeurs d’université danois. C’est du moins ce qu’a confié le romancier français à ses interlocuteurs scandinaves, quand il les a accueillis dans un « café peu charmant du XIVe arrondissement ». En lieu et place d’une rencontre d’écrivains prévue au Vatican.
Depuis, le glas a sonné et François est mort. Le souverain pontife n’aurait fait qu’emboîter le pas du christianisme ; Michel Houellebecq prophétise la disparition de la foi chrétienne, dans cet entretien fleuve publié le 5 juin dans le journal danois Information . « Je ne crois pas que le christianisme ait un avenir en Europe (...). Je ne vois aucun signe évident d’un retour du christianisme. Et je le dis avec regret, car je ne veux pas détruire l’espoir des chrétiens. J’aime le christianisme », affirme Houellebecq, lui-même athée.
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Le wokisme existe-t-il ?
Il opère à ce moment-là une distinction avec l’islam qui, comme il l’imaginait dans Soumission (2015), pourrait continuer de croître. « Il est bien sûr difficile de prédire ce qui se passera et quand. Mais la direction est claire. » La situation en France, juge-t-il, est « probablement la même » qu’au début de son roman. « Tout a commencé avec les caricatures danoises, estime-t-il. Aujourd’hui, plus aucun Français ne pense que c’est une bonne idée de publier de telles caricatures. Les jeunes, en particulier, sont très critiques, ils ne voient aucune raison de critiquer l’islam et trouvent cela carrément antipathique que quelqu’un le fasse. En quelque sorte, les assassins ont gagné. On ne fait tout simplement plus de caricatures de ce genre. »
La Russie ne va pas nous envahir. Même en rêve. Poutine ne représente aucun danger pour le Danemark ni pour la France.
Michel Houellebecq
Au chapitre de la politique, Michel Houellebecq ne croit qu’à moitié à l’influence du wokisme - « Je sais qu’il y a des gens qui sont wokes, mais je ne les ai jamais rencontrés. N’est-ce pas un peu une légende urbaine ? ». Encore moins en le triomphe des idées portées par la droite. « Désolé, mais je ne l’ai pas remarqué. La gauche domine toujours », assène-t-il, dans ce qui ressemble à un regret, face à Adam Paulsen et Anders Ehlers Damm. Le premier enseigne la littérature comparée à l’Université du Danemark du Sud, à Odense. Le second est professeur de littérature nordique à l’Europa-Universität de Flensburg, en Allemagne.
L’entretien navigue entre réflexions politiques et longues considérations littéraires. À propos du romancier danois Hans Christian Andersen, par exemple. Son conte, Les Habits neufs de l’empereur, résumerait sa propre démarche d’écrivain. Houellebecq s’est reconnu dans le personnage du garçon qui dénonce à la fin du livre la nudité du souverain, victime d’escrocs et de sa propre bêtise. « Le fait que les gens autour de moi aient une perception erronée des choses a été un moteur important de mon écriture. »
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Quant à son écriture en tant que telle, qui vaut bien une digression, Houellebecq la qualifie d’« expressionniste ». Fait de larges contrastes. Au risque, concède-t-il, de perdre en subtilité. « J’ai besoin de personnages positifs et négatifs sans ambiguïté. »
À l’image d’un Donald Trump, vers qui finit par rouler la conversation ? « C’est triste qu’il ne soit pas quelqu’un de bien. Mais une politique isolationniste me convient parfaitement », affirme le romancier, qui s’interroge davantage sur le cas d’Elon Musk, le milliardaire et ex-électron libre de la Maison Blanche. « À un moment, il a exprimé son inquiétude au sujet des robots soldats, à un autre, il a réclamé plus d’IA. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire. C’est peut-être parce qu’il est très intelligent que je ne peux pas le suivre, je ne peux l’exclure. Mais j’aimerais bien lui parler. »
«Finkielkraut a toujours besoin de se plaindre !»
Robots soldats ou non, rien ne justifierait de craindre l’avenir, selon le lauréat du prix de Jérusalem 2025. Le déclinisme est la tentation de chaque époque. Ses interlocuteurs lui font remarquer qu’Alain Finkielkraut, contempteur de la modernité, diagnostique l’affaiblissement du rôle de la littérature. « Typiquement Finkielkraut ! Il a toujours besoin de se plaindre ! », raille Houellebecq qui ne partage pas cette inquiétude. Lui ne serait ni décliniste, ni nihiliste, ni cynique. Seulement misanthrope. Ce qui est peut-être une façon d’être les trois à la fois...
La tranquillité d’esprit de l’écrivain, qui a quitté Paris pour vivre dans une maison à la campagne, s’applique aussi à la géopolitique. « La Russie ne va pas nous envahir. Même en rêve. Poutine ne représente aucun danger pour le Danemark, ni pour la France. Je n’ai pas peur de Poutine », réagit-il lorsqu’on l’interroge sur la nécessité d’une Europe forte. Avant de nuancer : « Avec les pays baltes, c’est différent. Je pense que Poutine a un plan très précis en tête. Il ne s’agit pas de recréer l’Union soviétique, mais de s’emparer de territoires plus ou moins importants. »
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Ces dernières années, le romancier semble prendre davantage de plaisir à converser avec des journalistes étrangers que français. Pythie lisant l’avenir dans les volutes de cigarettes, il peut laisser libre cours à ses analyses, singulières ou erratiques selon les points de vue. L’écrivain faisait une entorse à sa réserve médiatique, en avril, en se rendant sur le plateau du Figaro TV. Il y faisait éclater sa compassion à l’égard des personnes en fin de vie et mettait en garde contre les conséquences anthropologiques de l’euthanasie. Insaisissable Houellebecq. Le pape, à ce sujet, ne l’aurait pas contredit.