Wokisme : quels sont les musées et les œuvres contre lesquels Donald Trump part en croisade
La guerre entre Donald Trump et les musées américains atteint son paroxysme. Depuis sa réélection en novembre 2024, le président des États-Unis a fait de sa lutte contre les institutions culturelles «wokistes», l’une de ses priorités. Le locataire de la Maison-Blanche les accuse régulièrement d’endoctrinement « woke » et pense qu’ils véhiculent une vision « biaisée » de l’histoire, en particulier sur l’esclavage. En mars, Donald Trump a lancé l’offensive en signant un décret dont l’objectif est de reprendre le contrôle de la Smithsonian Institution, une organisation qui gère 21 musées nationaux, dont la majorité est située à Washington.
Six mois plus tard, la tension est loin d’être retombé. Le 12 août, un courrier de la Maison-Blanche annonce que les musées de la Smithsonian Institution disposent de 120 jours pour changer leurs programmes en « remplaçant les propos clivants ou idéologiques par des descriptions qui rassemblent, qui sont historiquement exactes et constructives ». Sur son réseau Truth Social, le président des États-Unis a demandé aux procureurs d’enquêter sur les institutions culturelles. Selon lui, « les musées de Washington mais aussi à travers tout le pays, sont pour l’essentiel les derniers restes du wokisme ».
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Passer la publicitéLe Figaro revient en détail sur les huit musées du Smithsonian, situés à Washington, concernés par l’examen interne de la Maison-Blanche.
Le Musée national d’histoire américaine
Le National Museum of American History, (en français, le Musée national d’histoire américaine) s’étend sur 75 000 mètres carrés et conserve plus de trois millions d’objets. Chaque année, quatre millions de visiteurs se bousculent pour admirer l’uniforme de Georges Washington, le masque mortuaire d’Abraham Lincoln ou la paire de gants de boxe de Mohammed Ali. Si le musée retrace les grands événements de l’histoire étasunienne, comme la déclaration d’Indépendance en 1776 ou la révolution industrielle, l’institution met aussi en avant les minorités telles que les communautés afro-américaines ou LGBT. À titre d’exemple, Il a affiché ouvertement le drapeau arc-en-ciel, d’abord sur le fronton puis aujourd’hui à l’accueil. Sur son site, l’institution culturelle assume sa programmation : «Nous nous mettons au défi de devenir l’institution d’histoire publique la plus accessible, la plus inclusive, la plus pertinente et la plus durable du pays».
Dans la même veine, l’exposition sur Benjamin Franklin n’est pas au goût du titulaire de la Maison Blanche. Elle mentionne principalement le recours à l’esclavage par le corédacteur de la déclaration d’indépendance des États-Unis. « Franklin a réduit en esclavage des gens, peut-être sept personnes. Leur travail a contribué à construire sa fortune », explique un cartel de l’exposition.
Cette vision de l’histoire ne manque pas de provoquer l’ire de Donald Trump. Il aimerait redécouvrir les inventions scientifiques du génie américain. Il pense au paratonnerre ou encore à sa dénonciation de l’esclavage en 1787. Pour lui, le rappel incessant des incohérences idéologiques de Franklin ne fait que nuire à l’image de l’histoire américaine.
Le Musée national des Latino-américains (en projet)
Créé en 2020, sous le mandat de Joe Biden, le Musée national des Latino-américains ne dispose pas encore de son propre bâtiment. En attendant sa construction, il gère depuis 2022 des expositions temporaires à la galerie Molina située au Musée national d’histoire américaine. La seule programmée à ce jour, Presente ! Une histoire latino des États-Unis, raconte en anglais et en espagnol, l’histoire des États-Unis du point de vue des latinos. Elle aborde des thématiques qui ne sont pas du goût du Président des États-Unis, comme l’immigration et le militantisme.
Passer la publicitéL’exposition, qui raconte la révolution texane en mettant en avant la politique anti-esclavagiste des Mexicains, est aussi sous les feux de ses critiques. Trump aurait préféré que l’institution présente cette période historique comme une volonté d’indépendance des Texans, à ses yeux, ici représentant de l’âme américaine.
L’institution culturelle n’a cure de la vision historiographique trumpienne. Elle veut continuer à mettre en avant « le rôle des latinos dans l’identité américaine ». Le projet de construction du musée risque de s’avérer plus difficile que prévu.
Le Musée d’histoire naturelle
Fossiles, momies, pierres précieuses... Mais pourquoi Donald Trump veut-il la peau du Musée d’histoire naturelle ? Aussi grand que 18 terrains de football, l’institution abrite la plus vaste collection d’espèces naturelles au monde. En dehors des animaux naturalisés et des minéraux exposés, certains parcours se concentrent davantage sur l’humain et l’environnement. En organisant des expositions sur la diversité des peuples et en alertant du danger de l’extinction des espèces, le musée new-yorkais se place à contre-courant de l’idéologie Trumpiste qui fait peu cas des problèmes écologiques. Pour mémoire, Trump a retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat en janvier. Il avait qualifié ce dernier « d’escroquerie injuste et unilatérale ».
National Portrait Gallery
L’institution culturelle gérée par l’organisme Smithsonian rassemble des portraits de personnalités: figures historiques, acteurs, présidents, poètes ou sportifs qui ont façonné l’histoire des États-Unis, de sa création jusqu’à aujourd’hui. À l’instar des autres musées, la National Portrait Gallery subit les assauts répétés du président Trump sur la dite « vérité » qu’il veut imposer à ses institutions culturelles. En mai, il avait annoncé le limogeage de la directrice du musée Kim Sajet. Il l’avait alors qualifié de « fervent partisan du DEI » (Programme mis en place par l’administration de Joe Biden qui signifiait Diversité, équité et inclusion). Quelques semaines plus tard, la démission de la dirigeante du musée était annoncée. « Ensemble, nous avons travaillé pour raconter une histoire plus complète et plus américaine, une histoire qui favorise la connexion, la réflexion et la compréhension », a-t-elle déclaré.
Cet été, afin d’éviter toute forme de provocation envers Donald Trump, le musée a choisi les œuvres à retirer des collections. Suite à cela, l’artiste Amy Sherald a décidé de ne pas exposer sa collection intitulé American Sublime au mois de septembre prochain. Elle a déclaré que le musée envisage de retirer son portrait d’une femme transgenre, inspiré de la statue de la Liberté. Elle justifie sa position ainsi: « Il est devenu évident que les conditions ne garantissent plus l’intégrité de l’œuvre telle qu’elle a été conçue. Il est clair que la peur institutionnelle, nourrie par un climat général d’hostilité politique envers les personnes trans, a joué un rôle. »
Musée des Indiens d’Amérique
Le long du parc National Mall, on retrouve également le musée consacré à la culture des peuples autochtones d’Amérique. L’objectif défini est de préserver mais aussi de faire connaître les spécificités des Amérindiens. Il s’attache à mettre en avant les voix autochtones et à représenter la richesse de cette culture. Plus de 800 000 objets ont été rassemblés afin de garnir les différentes collections. Le bâtiment qui abrite ce musée est en lui-même, une œuvre chargée d’histoire. L’architecture, les décors, mais aussi les expositions ont été conçus en collaboration avec des tribus et communauté amérindiennes autochtones d’Alaska et Hawaïenne.
Donald Trump et la Maison Blanche n’ont pas explicitement pointé les œuvres qui pourraient contredire leur vision de l’histoire. En attendant, l’exécutif a demandé à connaître la programmation future du musée.
Musée de l’air et de l’espace
Toujours dans le même quartier, ce musée rassemble plus de 70 000 objets et plus de 6000 mètres cubes de documents d’archives. Il possède la plus grande collection d’avions et de véhicules spatiaux du monde. Des éléments emblématiques de l’aviation et de la course à l’espace y sont exposés, tels que le Spirit of st Louis de Charles Lindbergh, la combinaison de Neil Armstrong, ou encore des échantillons de roche lunaire uniques. À l’instar du musée d’Hirshhorn, la Maison Blanche n’a pas indiqué quelles sont les œuvres qui nécessitent un « alignement ».
En juillet, Trump et la Smithsonian Institution ont exprimé leur désaccord à propos de l’emplacement de la navette spatiale Discovery. Le président des États-Unis avait exigé dans un texte de loi, le transfert de l’engin spatial à Houston, au Texas. Cette décision a provoqué la colère de la Smithsonian qui a répliqué que Discovery était « l’une des pièces majeures » du musée de l’air et de l’espace.
Musée d’art américain Smithsonian
Aussi connu sous l’acronyme SAAM, le musée retrace trois siècles d’histoire des États-Unis, en partant de l’art de la période coloniale jusqu’à l’époque contemporaine. Plus de 7000 artistes sont représentés dans les différentes collections. Chaque année, plus d’un million de visiteurs se pressent dans ses galeries pour y admirer des toiles d’Edward Hopper ou de Winslow Homer. Si le musée revendique être « un lieu où l’on peut s’immerger dans l’art américain », certaines de ses pièces font froncer les sourcils de Donald Trump.
Dans son communiqué publié le 21 août, la Maison Blanche pointe du doigt les statues qui y sont exposées : « Le Museum of American Art utilise la sculpture américaine “pour inviter au dialogue et à la réflexion sur les notions de pouvoir et d’identité” ». On peut imaginer que certaines sections, comme celles consacrées à l’art afro-américain ou latino, inquiètent le gouvernement. « La collection Latinx de la SAAM dresse le portrait d’une culture nationale en évolution, qui remet en question les notions d’Américain et de Latino […] Nombre des artistes Latinx de la collection explorent de manière critique l’histoire et la culture populaire américaines, révélant les possibilités et les tensions liées à l’expansionnisme, à la migration et à la colonisation », explique sur son site web, l’institution culturelle.
Hirshhorn Museum and Sculpture Garden
Ouvert en 1974 à Washington DC, l’imposant musée Hirshhorn expose plus de 12 000 objets d’art contemporain. S’y trouvent des peintures de Frank Stella, de Claude Garache, des sculptures de Claes Oldenburg... L’institution est aussi agrémentée d’un jardin où trônent des statues taillées par Auguste Rodin. Sur le papier, rien ne semble inquiéter le président des États-Unis. Mais selon un article publié le 1er avril par le Washington Post, la programmation du musée d’Hirshhon dérange sérieusement le pouvoir : «Ses expositions offrent un contrepoint précieux et stimulant face à un président qui s’efforce de réécrire l’histoire du pays par des décrets et des prises de contrôles hostiles d’institutions culturelles ». Si la Maison-Blanche n’a pas précisé dans son rapport quelles sont les œuvres qui « gênent » le gouvernement, on peut supposer que l’institution ne met pas assez en avant des œuvres fédératrices : « Aujourd’hui, nous sommes un porte-parole de premier plan pour les artistes novateurs dont les œuvres remettent en question non seulement le paysage politique et culturel, mais aussi la pratique artistique elle-même » écrit sur son site, le musée.
Musée national d’histoire et de culture afro-américaine
Ce bâtiment ultramoderne conçu par l’architecte ghanéen David Adjaye héberge une collection de 34 000 objets qui aborde presque tous les aspects de l’histoire de l’émancipation des Afro-Américains. L’esclavage, la ségrégation, la lutte pour les droits civiques mais aussi la culture et la société sont des thèmes explorés au sein les différentes collections. On peut notamment y retrouver un châle donné à Harriet Tubman par la reine Victoria, grande figure de la lutte contre l’esclavage, le racisme ou encore le droit des femmes. Mais aussi un avion d’entraînement utilisé par l’Institut Tuskegee, premiers aviateurs militaires afro-américains des forces armées des États-Unis, ou encore une boombox appartenant à Chuck D de Public Enemy.
Lors d’une visite pendant son premier mandat en 2017, Donald Trump avait qualifié le musée de « fantastique » en rendant un « magnifique hommage aux héros américains ». Depuis, le président des États-Unis a changé son fusil d’épaule. Désormais il a peur que le musée se concentre sur les horreurs de l’esclavage et oublie « les succès, notre génie, notre avenir ».