Football, ne mords plus les mains qui te nourrissent !
Déjà en 2007 quand Frédéric Thiriez dévoilait le Plan Footpro 2012, l’ambition affichée de notre Ligue 1 était d’être le troisième championnat européen. Si l’argent ne fait pas le bonheur, en matière de football, il permet aux clubs d’être durablement performants. Y parvenir devait passer inévitablement par une hausse des droits TV, d’abord avec un objectif de 750 millions d’euros puis le milliard «coûte que coûte».
Avec un marché 12 millions d’abonnés à la TV payante comparable voire supérieur à celui de nos voisins, cette somme était théoriquement accessible en 2010. Oui mais voilà, nous ne vivons pas «en théorie». Même s’il est toujours facile de commenter un match lorsqu’on en connaît déjà le résultat, il est désormais aisé de constater que le décrochage économique de notre football trouve son origine dans un manque de bon sens, de mauvaise relation humaine ou de vision.
Pendant deux décennies, Canal+ et la LFP ont su grandir ensemble jusqu’à l’appel d’offres pour la période de 2005 à 2008. Celui-ci fut largement remporté par la chaîne cryptée. Le passage aux 600 millions d’euros par saison a eu pour conséquence la disparition de TPS. C’est alors qu’il fallut trouver de nouveaux partenaires complétant l’offre financière de C+ pour atteindre 668 millions d’euros. Orange a pris le premier relais sans réellement trouver son modèle économique. C’est dans ce contexte que, sous l’impulsion du Président Sarkozy, arrive beIN SPORTS en 2012, ajoutant 203 millions aux 404 de Canal+.
Avec un diffuseur (indirectement) propriétaire du club de la capitale, le football français semblait retrouver sa martingale des années 90 qui lui a permis de tutoyer les sommets avec l’OM (vainqueur de la Ligue des Champions 1993), le PSG (vainqueur de la Coupe des Coupes en 1996), l’AS Monaco (finaliste de la Coupe des Coupes en 1992), sans oublier les parcours européens de l’AJ Auxerre et du FC Nantes). À ce moment-là, la double casquette de Michel Denisot ne posait de problème ni aux fans, ni aux autres médias, pas plus d’ailleurs à ses clubs concurrents. Au contraire, Bernard Tapie (alors président de l’OM mais aussi PDG d’Adidas puis Ministre) y a vu l’opportunité de créer le fameux Clasico à la française.
Coïncidence ou pas, l’annonce - en mars 2016 - du départ de Frédéric Thiriez, qui assuma la présidence de la Ligue depuis 2002, va marquer le début de la fin d’un mirage nommé «Big 5». Sans vouloir nécessairement pointer la compétence ou l’indépendance de ses successeurs, notre championnat va pâtir d’une série d’au moins cinq erreurs qui vont conduire à dégrader la relation avec ses fans et les médias au sens large.
Paradoxalement, la première erreur est imputable au monde politique. D’abord en 2016, pensant bien faire, le Président Hollande a pris l’initiative d’appeler l’Emir du Qatar pour «sauver le soldat Canal+» au détriment de beIN. Après l’imposition des revenus à 75% (un quasi-impôt PSG), il y avait eu la volonté de députés remettant en cause des avantages fiscaux accordés au Qatar. Puis il y eut les polémiques et l’appel au boycott d’élus quelques mois en amont de la Coupe du Monde 2022. Si on ajoute à cela le bras de fer qui oppose Nasser Al-Khelaïfi et la Maire de Paris à propos du Parc des Princes, les autorités de Doha font passer le message de leur mécontentement à propos du «traitement réservé aux entreprises et personnes qataries en France ».
La seconde et probablement la plus stratégique, fut de tourner publiquement et juridiquement le dos à son diffuseur historique. Obnubilés par sa quête du milliard, les dirigeants du football professionnel font le pari de Médiapro. Pourtant, ils auraient dû être alertés par la mésaventure italienne du groupe espagnol. Car quelques mois plus tôt, la Serie A est revenue sur l’attribution de ses droits pour défaut de garantie. Puisque C+ et beIN sont commercialement liés, les 2 groupes ont su trouver un accord permettant à la chaîne cryptée de récupérer quelques matches de Ligue 1.
En tant que nouvel entrant sur le marché français, Mediapro avait … 0 abonné lors de son lancement. Sans réelle surprise, le deal de l’année s’est mué en fiasco de la décennie, et c’est là qu’arrive la troisième erreur de la Ligue : humilier Canal+. Car oui, imposer (devant les tribunaux) à la chaîne privée de continuer à payer 332 millions d’euros pour deux matches alors qu’Amazon avait obtenu les 8 autres rencontres pour seulement 250 millions d’euros, c’était enterrer tout espoir de réconciliation avec LE principal groupe de la TV payante.
La quatrième est justement de ne pas apprendre des erreurs précédentes. Confier les principaux lots à de nouveaux entrants. C’était le cas de Mediapro et dans une moindre mesure, idem pour Amazon et DAZN rendant la rentabilité quasi-impossible sur la durée du contrat. Les 1,4 million d’abonnés n’ayant pas permis au géant américain d’atteindre son point mort, le GAFA a décidé de ne même pas candidater à sa succession.
La cinquième erreur s’apparente plus à une négligence, voire une faute de la Ligue comme des clubs eux-mêmes. Faisant le constat que la relation avec Canal+ était devenue durablement endommagée, la solution aurait dû être de faire corps derrière des diffuseurs ayant la surface financière suffisante pour permettre à la Ligue 1 de rester au contact de ses voisins et concurrents. Uniquement préoccupée par ses propres débats autour de l’élection à la présidence de la LFP, la famille de notre football professionnel a laissé pendant des mois DAZN et beIN SPORTS se débattre face au piratage et la colère des fans, désabusés par d’énièmes changements d’opérateurs et de programmation. Pire, on ne compte plus les prises de parole des membres et dirigeants de clubs vantant leur attachement à C+, critiquant voire entravant le travail éditorial de leurs clients médias.
Pourtant, les récentes signatures avec la FIFA et la NFL ainsi que l’entrée au capital du fonds souverain saoudien auraient dû rassurer sur la dynamique positive de DAZN. Et que dire du «Nasser bashing», président du PSG, de beIN SPORTS, de QSI, de l’ECA et Ministre qatarien. C’est faire abstraction de sa contribution sportive et économique pour le sport hexagonal : 3,1 milliards d’euros de droits TV en France depuis 2012, 800 millions d’euros au niveau international, 200 millions d’euros pour notre sport amateur, 60 millions de fiscalité rien que pour 2024.
Sportivement, quel serait l’indice UEFA sans les performances répétées du PSG. Quelle aurait été la médiatisation en France et dans le monde sans les stars parisiennes depuis 2012 : Beckham, Ibrahimovic, Mbappé, Messi, Neymar … Économiquement, toutes ces erreurs ont eu pour conséquence un décrochage budgétaire. Avec des droits TV d’a minima 500 millions d’euros inférieurs à nos voisins, nos clubs sont condamnés à chercher d’autres sources de financement ou de nouveaux investisseurs.
Autocentré, notre écosystème médiatique oublie toujours l’importance pour le football français d’avoir, un représentant influent dans les instances internationales. De toute évidence, avoir un Français à la tête de l’UEFA n’a pas été un handicap pour décrocher l’organisation de l’Euro 2016. Soutenir Michel Platini pour qu’il devienne président de la FIFA aurait dû être une évidence. Mais c’est bien de Paris qu’est partie la bombe médiatique du FIFAgate. En Espagne, (hormis Javier Tebas) qui se plaint vraiment de l’influence internationale d’un dirigeant comme Florentino Pérez ? « Ne pas mordre la main qui te nourrit » (ou te fait du bien), plus qu’un dicton, ça doit devenir réflexe de bon sens pour qu’un jour, on puisse de nouveau parler d’un Big 5 !