Notre critique de Nino : voyage au début de l’enfer

Rude journée. Il a perdu ses clés. En plus, le médecin lui annonce qu’il a un cancer de la gorge (prononcer papillomavirus). Nino (Théodore Pellerin) encaisse le coup. Il ne s’attendait pas à ça. Lui, il était seulement venu à l’hôpital pour avoir ses résultats dont il a besoin pour obtenir un arrêt de travail. La nouvelle le frappe de stupeur muette. Une fraction de seconde, et c’est fini. L’univers bascule. On est vendredi. On lui demande de revenir lundi pour une première séance de chimiothérapie. Ça ne traîne pas.

L’enfer commence. Le week-end risque de lui paraître interminable. Le compte à rebours s’enclenche, rappelant Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda. Comment annoncer ça à ses proches ? Patatras, tout cela tombe mal : c’est son anniversaire. Il rend visite à sa mère dans son pavillon de banlieue. Il souffle les bougies, dort dans sa chambre d’adolescent. Ils parlent de son père qui s’est tué en tombant dans un escalier. Il n’arrive pas à se confier. Il se livre sur la pointe des pieds : la maman (Jeanne Balibar dans un de ses meilleurs rôles) croit qu’il va subir une transition de genre. La moue qu’il a en découvrant le malentendu.

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La tournée des adieux se poursuit, un peu comme dans Le Feu follet, de Louis Malle. Dans un Paris indifférent, il revoit une ex en train de déménager, croise par hasard une ancienne camarade de classe avec son fils, se rend à une fête chez son meilleur ami (William Lebghil, décidément le copain définitif du cinéma français). Il garde le silence, vomit en cachette dans la salle de bains. Son secret le verrouille de l’intérieur. Cela ne passe pas. Il a peur, sans doute. Se plaindre n’est pas sa caractéristique principale. Il ne va quand même pas raconter à tout le monde que le traitement a l’inconvénient de rendre stérile. Un peu de pudeur.

Une lente dérive

Son errance continue. Il ne peut toujours pas rentrer chez lui. Le gardien n’est pas là. Il l’appelle : le numéro ne répond pas. La suite montrera pourquoi. Dans des bains-douches, le jeune homme se retrouve dans les vestiaires avec un Mathieu Amalric clochardisant et halluciné qui tire de son portefeuille une photo de Romy Schneider en assurant qu’il s’agit de sa femme. Le garçon soupire de gêne et de compassion. Il vaut mieux en rire. Encore deux jours, plus qu’un. Ça va aller, Nino, tu vas voir, ça va aller. La ville offre son décor anonyme à cette lente dérive.

Ce premier long-métrage manifeste une pudeur rare. Le sujet méritait une telle délicatesse. Pauline Loquès peint cet entre-deux sans se munir de Kleenex. Elle préfère les petits faits vrais, le quotidien qui avance malgré tout. Elle a surtout eu le nez de choisir Théodore Pellerin pour incarner Nino, qui irradie en sourdine dans son pull banal, avec ses airs penchés. Il est là, affichant une grâce de héron, comme s’il était en apesanteur, narguant en silence une épée de Damoclès. Sa présence envoûte. Il occupe l’écran. L’avenir est à lui. Il durera certainement beaucoup plus qu’un week-end. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

La note du Figaro : 3/4