Notre critique de Peacock : le monde comme il ne va pas, à savourer pour mieux en rire

Drôle de métier. L’agence MyCompanion fournit des amis à louer. Matthias, avec sa coupe en brosse, son air rieur et sa petite moustache, peut jouer un rôle à la demande. Pour les clients, tout cela est bien pratique. Ainsi, il lui arrive de se glisser dans la peau d’un parent d’élève, du fils d’un PDG, du chevalier servant d’une dame plus âgée qui peut s’afficher avec ce trophée à son bras. Ses prestations sont appréciées à leur juste valeur. Il y met du sien, du cœur. Certaines de ses prestations consistent à montrer à une épouse frustrée comment se disputer avec son mari.

On l’embauche pour préparer un soixantième anniversaire. Le travail réclame de la disponibilité, de l’invention. Une âme de caméléon n’est pas déconseillée. Cependant, sa vie privée lui échappe. Sa fiancée ne le comprend plus. Qui est-il au juste ? Elle s’en va, emportant une grosse valise et un doberman. Matthias n’en revient pas.

Autour de lui, les choses prennent une tournure bizarre. Dans sa maison d’architecte avec piscine à débordement, il s’ennuie. Son quotidien lui glisse entre les doigts. Un plombier qu’il n’a pas réclamé n’arrête pas de sonner chez lui. Il y a un chien noir et un ours en cuir blanc. Quand il déjeune au restaurant, tout le monde croit qu’il s’est garé sur une place pour handicapés.

Albrecht Schuch dans Peacock Pyramide Films

Originalité, surprise et humour noir

Cela finit par devenir gênant. Un léger décalage s’installe en permanence. À la cave, la chaudière émet un bruit suspect. Un inconnu le harcèle au téléphone. Heureusement, il rencontre une belle brune dans un institut de yoga. Cela lui permet de digérer les ridicules discours du gourou. Cet univers farfelu et glacé n’est pas sans rappeler Ruben Östlund. Une scène de dîner évoque d’ailleurs irrésistiblement une séquence de The Square . L’art contemporain n’en sort pas indemne. Matthias, à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, circule au milieu des riches, des paumés, des truqueurs.

Il y a chez l’acteur Albrecht Schuch une innocence proche de celle qui caractérisait le Peter Sellers de Bienvenue mister Chance. La satire atteint son but. La réalisation au cordeau souligne le propos. Originalité, surprise, humour noir, tels sont les ingrédients saupoudrés par Bernhard Wenger dans cette fable cruelle où souffle un superbe anarchisme. Il y a un ton et un style chez cet Autrichien qui regarde le monde comme il ne va pas.

Cela en défrisera quelques-uns, les mêmes qui tordent le nez devant Sans filtre,  de Ruben Ostlünd, ou grognent en face de Sorrentino. On ne les plaindra pas. Ils ne savent pas ce qu’ils manquent. Le film pousse le raffinement jusqu’à l’absurde, pique la curiosité sans faiblir, avec cette voiturette en feu sur un terrain de golf ou ce paon (le « peacock » du titre) aux ailes déployées sur le toit d’une voiture. Un rire comme ça devrait être remboursé par la Sécurité sociale. Cela constitue des vitamines pour l’esprit.


La note du Figaro : 3/4

Peacock , un drame de Bernhard Wenger, avec Albrecht Schuch, Julia Franz Richter, Branko Samarovski, Anton Noori. Pyramide Films