Rétro 2024 : au Moyen-Orient, une année de guerre et de ruptures géopolitiques
Israël – Iran : premier affrontement direct

Après deux décennies de menaces verbales et diplomatiques, d’opérations clandestines et de guerres par procuration, l’Iran et Israël se sont affrontés directement à au moins deux reprises en 2024, en avril puis en octobre.
Le 1er avril, Israël bombarde une annexe du consulat iranien à Damas, en Syrie, tuant notamment Mohammad Reza Zahedi, le commandant de la Force Al-Qods (l'unité d’élite des Gardiens de la révolution) en Syrie et au Liban. En représailles, dans la nuit du 13 au 14 avril, l’Iran attaque pour la première fois directement l’État hébreu en tirant des drones Shahed puis des missiles balistiques vers son territoire.
Selon les autorités israéliennes, la quasi-totalité des 300 projectiles sont détruits en vol par la défense antiaérienne. Les armées américaine, britannique, française et jordanienne participent à l'opération en mobilisant leur aviation ainsi que des navires de guerre. Le journal Haaretz rapporte que la Royal Jordanian Air Force a abattu 20 % des drones lancés depuis l'Iran.
Israël affirme que l’attaque n’a atteint aucune de ses cibles, des installations militaires. L’Iran affirme de son côté que son opération est terminée. Fin du premier acte.
Le 31 juillet, Ismaïl Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas, est assassiné à Téhéran, dans une résidence des vétérans des Gardiens de la révolution islamique, après avoir assisté à l'investiture du président iranien Massoud Pezeshkian. Selon le New York Times, l’explosion a été provoquée par des explosifs dissimulés dans ce lieu ultra sécurisé. Israël ne revendique pas l’opération et l’Iran promet de "venger le sang versé sur [son] territoire".
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Deux mois plus tard, le 27 septembre, c’est Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, l’allié stratégique de l’Iran au Liban et en Syrie, qui est tué par une frappe israélienne massive sur le QG de l’organisation dans la banlieue sud de Beyrouth. Le régime iranien n’a plus le choix et passe à l’action le 1er octobre.
Cette fois-ci, ce sont 180 missiles balistiques qui sont tirés conjointement sur Israël. L’attaque est un cran au-dessus de celle d’avril, la majorité des projectiles sont hypersoniques et visent à saturer les systèmes de défense israéliens. Comme en avril, avec l’aide militaire des États-Unis, de la Grande Bretagne et de la Jordanie, la majorité des missiles sont détruits en vol, mais cette fois-ci des dégâts parfois importants sont observés en Israël.
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, affirme alors que "l'Iran a commis une grave erreur et va payer pour cela". Une menace mise à exécution dans la nuit du 25 au 26 octobre : l’aviation israélienne mène plusieurs vagues de frappes sur tout le territoire iranien, mobilisant une centaine d’avions de combat, selon l’armée israélienne.

Selon une enquête du New York Times, les frappes israéliennes visaient une vingtaine de sites, dont les systèmes de défense antiaériens de sites pétroliers et gaziers, un port ainsi que des sites militaires liés au programme nucléaire et à la production de missiles balistiques de Téhéran. "L’attaque a été précise et puissante, et elle a atteint tous ses objectifs" affirme Benjamin Netanyahu.
L’ayatollah Ali Khamenei déclare le lendemain que "le mal commis par le régime sioniste ne doit être ni minimisé ni exagéré".
Au terme de cet affrontement, Israël a considérablement diminué la menace stratégique iranienne en démontrant qu’elle peut anéantir ses défenses antiaériennes. Selon un expert israélien cité par Le Monde, "il ne reste plus à l’Iran qu’une forme de dissuasion : la puissance nucléaire".
Hamas – Hezbollah : l’"axe de la résistance" décapité

Après l’attaque du 7 octobre 2023, l’armée israélienne est mobilisée par ses opérations dans la bande de Gaza. Au printemps 2024, les tirs de roquette du Hezbollah sur le Nord d’Israël oblige l’État hébreu à évacuer une partie de la population.
Les Israéliens décident alors d’étendre le conflit et de procéder à des assassinats ciblés pour décapiter les deux organisations qu’ils combattent sur ces deux fronts, le Hamas au sud et le Hezbollah au nord.
Le 31 juillet, c’est Ismaël Haniyeh, le leader en exil du Hamas qui est assassiné en plein Téhéran, le jour de la prise du serment du nouveau président iranien. Une action qui marque les esprits, même si le véritable centre de commandement du Hamas se situe dans les tunnels de Gaza.
Le 17 octobre, c’est au tour du chef militaire du Hamas, Yahya Sinouar, de tomber sous le feu de l’armée israélienne, au cours d’une action bien moins spectaculaire. En patrouille dans le quartier de Rafah, au sud de Gaza, des soldats israéliens ouvrent le feu sur un groupe d’hommes armés qui se réfugient dans un bâtiment. Un char tire sur celui-ci. Dans les décombres gît la dépouille de l'homme derrière l’attaque du 7 octobre.

À Tel Aviv et ailleurs en Israël, la population célèbre bruyamment son élimination. L’armée israélienne publie des images d’un drone d’observation montrant le chef du Hamas blessé, peu avant sa mort. Alors qu’ils ne disposaient pas d'informations sur la présence de Yahya Sinouar dans ce quartier de Rafah, les militaires israéliens saisissent l’opportunité pour montrer leur force et leur supériorité technologique.
Mais c’est le 27 septembre à Beyrouth qu’Israël va porter un coup terrible au Hezbollah, son ennemi le mieux armé qu’il combat sans relâche depuis deux décennies. Dix jours après avoir fait exploser les bipeurs des membres de la milice chiite libanaise, c’est son chef charismatique, Hassan Nasrallah, qui est visé alors qu’il participe à une réunion dans une salle située 20 mètres sous terre.
À 18 h 17, une détonation fait trembler la terre et résonne à 40 kilomètres à la ronde. Le quotidien libanais L’Orient-Le-Jour estime que ce sont plus de 80 bombes qui ont été larguées en quelques secondes par au moins huit avions israéliens sur le QG du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth. Les munitions utilisées sont des bombes de 900 kilos appelées "bunker busters" (démolisseur de bunkers). Elles pulvérisent six bâtiments, réduits à un cratère énorme d’une trentaine de mètres de profondeur. La dépouille de Hassan Nasrallah ne sera extraite des décombres que le lendemain.

En quelques mois, Israël a éliminé les trois principales figures de "l’Axe de la résistance" et les états-majors du Hezbollah, du Hamas et des Gardiens de la révolution iraniens ont été sérieusement affaiblis.
À Gaza, Israël poursuit son opération de destruction de l’enclave

Au cours de l’année 2024, l’armée israélienne poursuit son blocus total de la bande de Gaza et la traque des membres du Hamas. En mai, elle lance une opération d'envergure sur la ville de Rafah, déplaçant des centaines de milliers de personnes. Israël prend également le contrôle du corridor de Philadelphie, une zone tampon de 14 kilomètres qui borde la frontière égyptienne.
En juin, elle libère à Nousseirat quatre otages israéliens dans une opération qui tue au moins 274 Palestiniens, selon le Hamas. À partir du mois de septembre, l'armée israélienne multiplie les opérations militaires dans le nord et le centre de la bande de Gaza pour empêcher, selon elle, le regroupement de combattants du Hamas.
Les bombardements et les privations transforment la vie des 2,1 millions de Gazaouis en enfer. Hôpitaux, écoles, camps de déplacés ou organisations humanitaires n’échappent pas aux pilonnages incessants.
Depuis le début de l’année, les habitants font périodiquement face à la famine et à la propagation d’épidémie, dont la polio. Le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas estime à plus de 45 000 le nombre de victimes dans le territoire palestinien depuis le début de la guerre avec Israël il y a plus d’un an.
Au Liban, le retour de la guerre

18 ans après le dernier conflit entre Israël et le Liban, en 2006, l’armée israélienne franchit la frontière entre les deux pays le 30 septembre 2024. Elle entend détruire les stocks d’armes du Hezbollah qui, sporadiquement, tire roquettes et obus sur le nord du pays depuis le 8 octobre 2023.
Cette attaque survient après l’assassinat de Hassan Nasrallah le 27 septembre et les deux vagues d’explosions, attribuées à Israël, de bipeurs et talkies-walkies piégés utilisés par les membres du Hezbollah qui font 37 morts et près de 3 000 blessés les 17 et 18 septembre.
Pendant huit semaines, l’aviation et les drones israéliens pilonnent le sud du Liban, la plaine de la Bekaa ainsi que la capitale Beyrouth. Au sol, quatre divisions israéliennes sont mobilisées. L'infrastructure militaire et les bastions du Hezbollah sont durement touchés, mais aussi la population civile. Environ 1,2 million de Libanais sont déplacés par les combats, soit 20 % de la population.
Le 27 novembre, un cessez-le-feu signé sous l’égide des États-Unis et de la France met fin aux hostilités. Le conflit a fait près de 4 000 morts au Liban et a provoqué des destructions considérables. Côté israélien, 49 soldats sont tués en deux mois.
En Syrie, la chute de la dynastie Assad

Le 8 décembre 2024, à la surprise générale, le régime de Bachar al-Assad s'effondre. Dix jours seulement après le début de l’offensive au nord du pays, les rebelles du HTC entrent dans la capitale, Damas, après s'être emparés d’Alep, de Hama et de Homs.
Constatant le refus de combattre de son armée et l’affaiblissement de ses alliés (Iran, Russie et Hezbollah), le dictateur syrien s’est envolé avec sa famille vers Moscou. Son exil met fin à la dictature sanguinaire et prédatrice de la famille Assad entamée en 1970. Il marque aussi la fin provisoire de la guerre civile qui, depuis 2011, a fait au moins 300 000 morts et 100 000 disparus, selon l’ONU.
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Le nouveau maître de Damas s'appelle Abou Mohammed al-Joulani – un nom de guerre. Au civil Ahmad al-Chareh, ce Syrien de la classe moyenne est un vétéran du jihadisme. Transfuge du groupe État islamique (EI) d'Irak, il fonde en Syrie le Front al-Nosra en 2012, prête allégeance à Al-Qaïda en 2013, avant de rompre ces liens, d'un commun accord, trois ans plus tard.

Depuis 2019, avec son mouvement Hayat Tahrir al-Cham (HTC, connu aussi sous l’acronyme HTS), il administre la province d’Idleb, dans le nord-ouest du pays. Il affirme combattre les anciens d’Al-Qaïda et de l’EI et avoir renoncé au terrorisme international. Son administration se dit respectueuse des différentes pratiques de l’islam et des minorités.
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À la tête de 50 000 hommes bien équipés, notamment par la Turquie, le HTC reste une "organisation terroriste" aux yeux des États-Unis. Des diplomates américains et européens ont cependant rencontré des représentants des rebelles islamistes mi-décembre à Damas pour évoquer une transition pacifique et la tenue d’élections libres d’ici trois mois.
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En Israël, Netanyahu, inculpé par la CPI, reste plus puissant que jamais

Le 21 novembre, la Cour Pénale Internationale (CPI), qui siège à La Haye (Pays-Bas), délivre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans la bande de Gaza. La CPI a également émis un mandat d'arrêt contre le commandant militaire du Hamas, Mohammed Deif, qui aurait été tué dans une frappe israélienne le 13 juillet 2024.
Le chef du gouvernement israélien, dont le pays ne reconnaît pas la juridiction de la Cour, a aussitôt qualifié d'"antisémite" cette décision. Désormais, ses déplacements sont menacés – chacun des 125 États membres de la Cour, dont les États-Unis ne font pas partie, sont théoriquement obligés de l’arrêter s'il se trouve sur leur territoire
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Et pourtant, l’insubmersible Netanyahu connaît un regain de popularité auprès de l’opinion publique israélienne, alors que beaucoup ne donnait pas cher de sa survie politique au lendemain des attaques du 7 octobre.
Avec les coups portés à l’Iran puis l’opération militaire au Liban, le Premier ministre brille désormais dans les sondages. Selon des instituts israéliens, en cas d’élections anticipées, son parti, le Likoud, arriverait en tête du scrutin.
De plus, la réélection de Donald Trump aux États-Unis peut lui faire espérer le soutien inconditionnel des États-Unis à ses projets d’accélération de la colonisation israélienne en Cisjordanie et à ses désirs de redessiner le Moyen-Orient en attaquant sans relâche l'Iran et ses alliés de "l'Axe de la résistance".