Regard sur le bilan carbone d’un plat de frites

Gérard Le Puill

La Belgique et les Pays Bas manquent de superficies agricoles pour produire les pommes de terre dont ils ont besoin pour exporter des frites surgelées. Du coup, les producteurs de ces pays achètent de plus en plus de terres agricoles et font monter les prix dans la région des Hauts de France. Avec, au final, un bilan carbone que la chaîne du froid et les emballages font croître au fil des ans sur chaque kilo de patates.

On apprenait récemment que, sur l’année commerciale d’après récolte de 2023-2024, la France a exporté 3,5 millions de tonnes de pommes de terre pour une valeur proche de 1,2 milliard d’euros sur une récolte totale de 6,8 millions de tonnes. La progression a été de 8% en volume et de 28% en valeur. L’augmentation des prix résulte du fait que la production a connu un net recul en Espagne et aux Pays Bas, voire en Belgique. Mais en dépit de cette forte production de pommes de terre, la France a importé 50% des 2 millions de tonnes de pommes de terre préparées sous forme de frites, de chips et de purées congelées. Du coup, un site de transformation va être construit en bordure de Péronne, dans la Somme, sur six hectares. A terme, ce site, financé à hauteur de 90% par le groupe belge Ecofrost, pourrait produire 400.000 tonnes de produits surgelés par an et générer 150 à 200 emplois.

Une enquête publiée le 11 février en page 12 du quotidien « Les Échos », était titrée : « Quand la pomme de terre a la frite ». Le sous titre ajoutait que « dans le nord de la France, les investissements étrangers se multiplient et les agriculteurs en profitent ». Quentin Lombard, de la coopérative Noriap Altho, y affirmait que  le nord du pays est « une région bénie de dieux pour la culture de la pomme de terre avec des rendements dépassant 40 tonnes à l’hectare, soit le double de la moyenne mondiale ».


Spéculation sur les terres agricoles des Hauts de France


Mais Gabriel Grésillon, auteur de l’enquête, indiquait que « les Pays Bas et la Belgique, qui affichent aussi d’excellents rendements, frisent la saturation ». Du coup, on apprenait que dans l’Avesnois, proche de la frontière avec la Belgique, un hectare de terre agricole qui valait 15.000 euros il y a trois ans grimpe peu à peu à 20.000 et 25.000 euros, ce qui reste attractif pour les belges de Wallonie où les prix montent jusqu’à 40.000 euros ; des Flamands voient l’hectare aller jusqu’à 80.000 euros, et des Néerlandais ont dépassé las barre des 100.000 euros  pour un hectare de terres à patates.


Il faut avoir d’autres éléments en tête pour comprendre la spéculation sur les terres agricoles dans la région des Hauts de France. Pour éviter la multiplication des maladies de la plante qui peut déboucher sur d’importantes baisses de rendements, la pomme de terre ne doit revenir sur la même parcelle que tous les quatre ans. Sur une ferme de grandes cultures couvant 200 hectares, on peut donc cultiver une moyenne de 50 hectares de pommes de terre par an, les autres cultures pouvant être du blé, de l’orge,  du colza, de la betterave sucrière est quelques autres cultures locales. Ces rotations longues ne peuvent pas libérer beaucoup d’hectares dans un pays comme la Belgique dont la superficie totale est de 340.688 kilomètres carrés contre 312.806 km2 pour la seule région des Hauts de France. Avec 41.526 km2, les Pays Bas, qui produisent beaucoup de lait de vache, de volailles, de porcs et importent beaucoup de céréales et de soja pour les nourrir, manquent aussi de terres disponibles pour produire des pommes de terre.


Un bilan carbone élevé pour la frite surgelée !

En 2021, la Belgique avait exporté 2,5 millions de tonnes de frites surgelées, se plaçant devant les Pays Bas, le Canada et les Etats-Unis. Selon Philippe Baret, professeur à l’Université  Catholique de Louvain, la pomme de terre couvre 10% de la surface agricole de la Belgique et sur ces 10% sont épandus 30% des pesticides utilisés dans le pays. A la sortie des champs, le bilan carbone des 25 kilos de pommes de terre est d’environ 2 kilos d’émissions de CO2. Pour un mangeur de frites, 25 kilos annuels correspondent à seulement 500 grammes de consommation par semaine. Mais, au final, chaîne du froid, longs transports et emballages compris, cette faible consommation aboutit néanmoins à émettre 17 kilos de CO2 pour 25 kilos de patates surgelées.

Avec la progression permanente des livraisons de repas au domicile des particuliers, les burgers- frites emballés dans du papier et du carton vont continuer de croître, surtout que les personnes entre 18 et 35 ans sont celles qui en achètent le plus. Urrugne est une commune de 10.000 habitants entre Saint-Jean-de-Luz et Hendaye dans les Pyrénées Atlantiques. Dans cette bourgade, la petite entreprise commerciale « Luz Pizza Urrugne » propose sur internet de fournir des pizzas, des burgers-frites et d’autres plats accompagnés du même légume avec une livraison gratuite à partir de 15 euros d’achat midi et soir dans les quartiers les plus proches de l’établissement.

Malgré les offres de ce type, le bilan carbone de la filière des frites surgelées, auquel s’ajoute celui des livraisons à domicile avec ses emballages, sera toujours beaucoup plus élevé que celui de la pomme de terre crue que l’on achète au marché avant de l’éplucher à la maison et de la tailler soi-même pour entrer dans la friteuse.

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