Une femme palestinienne poignardée par un colon israélien en Cisjordanie ? Attention à cette intox

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La vérification en bref 

  • Des publications partagées sur X et Instagram prétendent qu'un "colon israélien" a poignardé une femme palestinienne à mort le 30 novembre en Cisjordanie, vidéo à l'appui. 

  • Mais rien n'indique que l'auteur des coups est un colon israélien, et le motif du meurtre pourrait être d'origine familiale : la police israélienne a en effet annoncé avoir arrêté deux proches de la victime, issus de la communauté israélo-arabe.

  • Le crime s'est déroulé dans la ville de Lod, en Israël, et non en Cisjordanie. Cette ville de 81 000 habitants est composée de près d'un tiers de personnes issues de la communauté israélo-arabe. 

  • L'association Abraham Initiatives, basé à Lod et qui documente les violences au sein de la communauté, a indiqué aux Observateurs de France 24 que cet assassinat constituait le 222e meurtre dans la communauté arabe-israélienne en 2023. 

La vérification en détails

"Un colon israélien assassine une femme enceinte palestinienne" : c'est ce que prétendent de nombreux internautes sur X et Instagram depuis le 30 novembre. 

Tous s'appuient sur le même extrait de vidéo surveillance de 30 secondes, dans lequel une femme vêtue d'un voile marchant sur un trottoir se retrouve sauvagement attaquée par derrière par un homme en noir avec une capuche. 

Après lui avoir asséné plus d'une dizaine de coups de couteau, le meurtrier fuit à bord d'une voiture grise qui l'attend à quelques mètres. 

Aux yeux de certains internautes, cette vidéo montrerait ainsi l'attaque d'un colon israélien "en Cisjordanie occupée", comme le prétend par exemple ce montage partagé dans un tweet depuis supprimé du compte en français Break News. 

Capture d'écran du montage vidéo partagé par le compte Break News le 30 novembre 2023, et depuis supprimé
Capture d'écran du montage vidéo partagé par le compte Break News le 30 novembre 2023, et depuis supprimé. © Les Observateurs

De nombreuses autres publications ont aussi relayé ces affirmations sur X en anglais et en arabe. C'est notamment le cas du compte X propalestinien Gaza Now, dont le tweet en arabe a été vu plus de 200 000 fois.

Les suspects issus de la famille de la victime

Aucun élément ne soutient toutefois de telles allégations. La vidéo de surveillance qui circule montre bien une femme attaquée par un homme armé d'un couteau, dans la matinée du 30 novembre. Cette femme enceinte mourra avec son fœtus dans les heures qui suivent l'hôpital, selon les médias locaux. 

Mais qui était cette femme ? Les médias qui ont traité l'affaire indiquent que cette victime de 2 ans, appelée Aya Abu Hajja, était une Israélienne de la communauté arabe en Israël.

La scène s'est en effet déroulée dans la ville de Lod comme l'ont précisé plusieurs médias, une ville située en Israël, et non en Cisjordanie.

La ville de Lod est située en territoire israélien, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de la frontière avec la Cisjordanie.
La ville de Lod est située en territoire israélien, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de la frontière avec la Cisjordanie. © Google Earth

Rien n'indique par ailleurs que l'auteur des faits est un colon israélien. Dans un tweet publié à 11 h le jour-même, la police israélienne a indiqué avoir arrêté des membres de la famille de la jeune femme, issus "de la diaspora bédouine et de Lod", et "soupçonnés d'être impliqués" dans ce crime.

Aucun des médias qui ont traité l'affaire ne mentionne non plus la piste d'un colon israélien, que ce soit dans les médias nationaux israéliens (comme le Times of Israel ou Haaretz) ou dans les médias traitant l'actualité de la communauté arabe. 

Tous ces articles, qui citent les premières déclarations de la police, ne mentionnent à aucune reprise un éventuel suspect décrit comme un "colon israélien". 

Un journaliste de la chaîne qatari Al Arabi, Ahmed Yassine, a publié sur X le jour-même un tweet réfutant les rumeurs autour d'un meurtre commis par un colon israélien en partageant une photo du lieu du crime.

La communauté arabe en Israël

En Israël, 21 % des habitants sont des Arabes israéliens. Détenteurs de la citoyenneté israélienne et vivant en Israël, de nombreux habitants parmi cette communauté, restée dans les frontières d’Israël après la guerre israélo-arabe de 1948, s’identifient toutefois comme des “Palestiniens de l'intérieur”.

À Lod, ville de 81 000 habitants, 27,5 % de la population est constituée d'Arabes israéliens, selon les chiffres de la municipalité. "Lod est une ville mixte, et non une colonie", précise Moran Maimoni, codirectrice des relations publiques de l'association Abraham Initiatives, contactée par les Observateurs de France 24. 

Basée à Lod, cette organisation travaille pour l'égalité entre les communautés israéliennes juives et arabes en Israël, et documente les inégalités et les violences au sein de la communauté israélo-arabe.

Un pic de violences au sein de la communauté israélo-arabe en Israël

Selon l’association Abraham Initiatives, cet assassinat constitue le 222e meurtre dans la communauté arabe-israélienne en 2023. "Sur ces 222 meurtres, 16 victimes étaient des femmes et 102 d'entre elles avaient moins de 30 ans", indique Moran Maimoni. 

Dans un rapport publié en juin 2023, l'organisation Abraham Initiatives souligne une forte hausse des crimes et violences au sein de la communauté israélo-arabe ces dernières années, en grande partie liée aux conditions socio-économiques de cette population en partie abandonnée par l'État.

"La moitié des familles arabes sont considérées comme pauvres et près de deux-tiers des enfants arabes vivent sous le seuil de pauvreté", décrit Abraham Initiatives, qui évoque aussi "le chômage [...] élevé chez les Arabes et le manque d'emploi chez les jeunes". 

L'association pointe aussi du doigt une présence policière insuffisante dans les communautés israélo-arabes et le manque de services publics au sein des villes arabes. "L'inégalité des services fournis aux citoyens arabes est illustrée par l'absence d'instituts gouvernementaux dans les villes arabes, l'absence de services gouvernementaux, l'absence de services bancaires et bien d'autres choses encore", souligne le rapport. 

La rédaction des Observateurs avait déjà couvert cette montée de violences inédite au sein de la communauté arabe en Israël en octobre 2022. En 2021, The Abraham Initiatives avait déjà recensé 126 meurtres, un chiffre considéré à l'époque comme un record.

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