Oliviero Toscani en images et en scandales: «Le problème de la mode vient de son manque d’audace et de liberté. Le marketing a pris le pas sur la créativité »
Si la mode a toujours été une histoire de création et de transgression, certains comme Oliviero Toscani en ont fait leur marque de fabrique. Son héritage est évidemment marqué par sa collaboration avec Luciano Benetton, le fondateur de la marque Benetton, commencée au début des années 1980. En 1986, il suscite sa première polémique avec l’image - toujours malheureusement pertinente - de deux adolescents israélien et palestinien tenant un globe entre leurs mains. À partir des années 1990, chaque campagne Benetton ou presque déclenche une controverse dont on parle dans les journaux télévisés et les cours d’école : le jeune homme sur son lit de mort, décédé des suites du Sida, en 1992; les vêtements maculés de sang d’un soldat trouvés sur un champ de bataille de Bosnie, ou encore, les trois cœurs «Hearts» identiques mais associés à une couleur (blanc, noir, jaune). Dans le documentaire, «Les scandales de la mode», Loïc Prigent revenant sur la publicité du baiser entre une sœur et un prêtre en 1991 qui faisait dire à une passante : « Je ne vois pas l’utilité de choquer les gens pour vendre des pull-overs ! »
En 2015, le photographe nous accordait un entretien alors qu’il exposait des photographies d’hommes et de femmes de toutes morphologies sur le parvis de la gare Saint-Lazare à Paris.
LE FIGARO. - Depuis vos débuts dans la photographie de mode dans les années 1960, avez-vous le sentiment que les clichés ont évolué, que certains tabous sont tombés ?
Oliviero TOSCANI. - Vous savez, j’ai photographié la première couverture de Elle US mettant en scène un mannequin noir, Alek Wek, en 1997. Les tabous mettent du temps à tomber... Aujourd’hui, j’ai plutôt l’impression que jamais les femmes n’ont été autant harassées par l’obligation d’être belles... même les femmes belles. Elles se conforment à une beauté étriquée. On vit dans une société qui admet les discriminations physiques. Regardez les journaux féminins : ils sont faits par des femmes qui habillent leurs mannequins, comme elles habillaient leurs poupées. Regardez leur une : il y a toujours un de ces titres, le régime, l’orgasme, la médecine esthétique... Pourquoi ? Pour vendre des complexes.
Quelles femmes aimez-vous photographier ?
Avant tout, il faut trouver des personnalités qui s’acceptent telles qu’elles sont. C’est impossible de trouver une femme belle si elle ne s’aime pas. Dans mon métier, j’ai toujours travaillé avec des mannequins qui débutaient. Ça ne m’intéresse pas de photographier des ouvriers du mannequinat, une personne trop photographiée devient vide. Mais vous, les femmes, vous semblez aimer ces visages vides ! Moi, plutôt que m’adresser aux agences de mannequins aux critères tellement formatés, j’ai toujours préféré repérer mes modèles dans la rue. Ce qu’on appelle bêtement dans la mode, le casting sauvage comme si on était au zoo. C’est du casting de rue, tout simplement. Je collabore depuis longtemps avec Brice Compagnon (directeur de casting influent de la presse et du luxe, NDLR) avec cette idée de choisir des regards, des personnalités, un charisme plutôt qu’une plastique.
La mode vous intéresse-t-elle encore ?
Je continue de shooter pour des magazines féminins, toujours avec un certain second degré. Le problème de la mode actuelle vient de son manque d’audace et de liberté. Le marketing a pris le pas sur la créativité. Autrefois, la mode influençait un comportement sociopolitique. Il y a cinquante ans, la minijupe a fait plus que beaucoup de livres dits militants, pour l’émancipation féminine. Seulement, de nos jours, ce sont les grandes marques qui conditionnent la rue et la presse avec peu d’intérêt pour l’individu... Pourquoi continuer la photo de mode ? Quand vous êtes reporter de guerre, pourquoi continuer, parce que vous aimez la guerre ?