Corée du Sud : la descente aux enfers d’un président en bout de course

Isolé, impopulaire et menacé par une série de scandales. Telle était la situation politique du président sud-coréen Yoon Suk Yeol juste avant qu’il ne tente d’imposer la loi martiale, dans la soirée de mardi 3 décembre, ressuscitant le spectre des régimes autoritaires qui ont dominé la vie politique du pays jusqu’au début des années 1980.

Sa tentative a échoué face à la mobilisation de l’opposition et d’élus de son propre parti. Quelques heures à peine après avoir déclaré la loi martiale, il a dû revenir en arrière. D’une position politique précaire, il se retrouve ainsi dorénavant dans une situation presque intenable et voit se profiler à l’horizon une très probable procédure de destitution.

Coup de force en préparation

Yoon Suk Yeol "s’est complètement trompé. Il semble dorénavant inévitable qu’il démissionne ou soit mis en accusation", résume Sojin Lim, spécialiste de la péninsule coréenne à l’University of Central Lancashire à Preston (Royaume-Uni) et codirectrice de l’Institut international d’études coréennes (IKSU).

Le président sud-coréen a tenté le tout pour le tout parce qu’il se sentait de plus en plus acculé, résument les experts contactés par France 24. "La décision a certes pris presque tout le monde par surprise, mais il y a eu des signes avant-coureurs d’une escalade des tensions politiques", assure Christoph Bluth, spécialiste de la péninsule coréenne à l’université de Bradford.

En effet, en septembre 2024, le parti démocrate - principal mouvement d’opposition - avait alerté sur des "manœuvres politiques" suggérant que Yoon Suk Yeol préparait un coup de force. Le président était notamment accusé de multiplier les nominations de proches à des postes clés dans l’appareil sécuritaire de l’État et au sein de l’armée.

Deux ans après avoir été élu président, ce farouche conservateur qui avait fait de la confrontation avec la Corée du Nord son principal cheval de bataille, n’avait presque plus aucun soutien. Sa côte de popularité, au plus bas, avoisinait alors les 17 % d’avis favorable.

Des manifestations anti-Yoon Suk Yeol

"Les Sud-Coréens n’en pouvaient plus de son style très confrontationnel", souligne Ramon Pacheco Pardo, spécialiste des relations internationales et de la Corée du Sud au King’s College de Londres.

Contrairement à Moon Jae-in, son prédécesseur, Yoon Suk Yeol n’a jamais laissé aucune place à la diplomatie avec le régime de Pyongyang. Il a aussi utilisé l’épouvantail nord-coréen pour justifier une politique plus répressive à l'échelle nationale. Ainsi, dans un discours de 2023, il avait promis de combattre les "forces du totalitarisme communiste qui prennent toujours l’apparence de militants pro-démocratie et de défenseurs des droits humains".

Cet ancien procureur général devenu président a aussi été accusé d’utiliser le ministère public à des fins politiques, notamment contre des médias indépendants. Les partis d’opposition l’ont surnommé le "procureur dictateur".

"Il ne faut pas oublier qu’il y a eu plusieurs manifestations anti-Yoon Suk Yeol bien avant le rassemblement de mardi soir", note Sojin Lim. En 2023, "il n’y avait presque pas un week-end sans un rassemblement à Séoul pour dénoncer le président", abonde le New York Time, dans un article d’octobre 2023.

Les scandales de la "Marie-Antoinette" sud-coréenne

"Ce qui a pu le pousser à bout, c’est la pression des scandales qui se sont accumulés, et surtout ceux qui concernent sa femme", précise Christoph Bluth. La première dame, Kim Keon-hee, s’est retrouvée impliquée dans deux scandales politiques majeures : le premier concerne un sac Dior qu’elle a reçu en cadeau en 2022, et dont la valeur dépasse la limite légale pour les présents fait au président et à sa femme. Elle s’est ainsi retrouvée comparée à la reine française Marie-Antoinette et accusée de mener un train de vie complètement déconnectée de la réalité d’un pays soumis à une forte inflation.

Le deuxième scandale concerne une affaire de manipulation de cours boursiers. La femme du président a été accusée d’avoir joué un rôle, en 2020, dans une fraude qui aurait permis à ses participants d’empocher l’équivalent de 58 millions d’euros. Les accusations ont été abandonnées en 2024, mais l’opposition y a vu le résultat de pressions du président sur l’appareil judiciaire.

Le parti démocrate s’est d’ailleurs mis en tête de faire destituer plusieurs procureurs, soupçonnés d’avoir négligé les enquêtes sur les scandales relatifs à la femme de Yoon Suk Yeol. Une procédure qui a gagné en force depuis que l’opposition est devenue majoritaire au Parlement après les législatives d’avril 2024.

Ce scrutin a "fortement isolé le président qui se retrouve dans un face à face constant avec le pouvoir législatif", note Christoph Bluth. Le budget proposé par le gouvernement était ainsi bloqué à l’Assemblée, "démontrant à quel point le président était devenu un politicien en bout de course", ajoute cet expert.

En tentant d’imposer la loi martiale, le président a probablement cherché à remonter le temps, en "mobilisant à nouveau cette base conservatrice qui l’avait menée au pouvoir en 2022. Il a peut-être aussi cru qu’en agitant le chiffon rouge nord-coréen, il pourrait bénéficier d’un certain soutien aux États-Unis", termine Ramon Pacheco Pardo. Mais la réaction rapide des parlementaires et des citoyens "montre qu’il y a une vraie résilience des institutions démocratiques", conclut Sojin Lim.