«Pauvres sans voiture, orientation dès la maternelle... Dans quel univers vivent ceux qui nous gouvernent ?»

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle vient de publier Antisèches d’une prof. Pour survivre à l’Éducation nationale (Presses de la Cité, 2025).


L’une nous dit que les gueux n’ont pas de voitures, vivent sur les bords d’autoroutes (se nourrissant probablement des déchets lancés depuis les fenêtres des berlines) et qu’ils seront les premiers à bénéficier des avantages des zones à faibles émissions. L’autre – toujours dans la même journée, il y a des détails qui ont leur importance – nous affirme que c’est dès la maternelle que les bambins doivent choisir leur orientation ! Face à de telles déclarations, nous sommes en droit de nous interroger : qui sont ces gens qui nous gouvernent ? Vivent-ils réellement dans le même univers que le nôtre ? Ont-ils besoin d’air pour respirer ? De vivres pour se sustenter ? D’un sens critique pour s’orienter ? Parce que non seulement c’est bête mais en plus c’est faux ! Dans les deux cas.

Attardons-nous un instant sur les propos d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, selon qui les « moins riches » (joli euphémisme pour ne pas prononcer le mot hideux de « pauvreté ») ne seraient pas véhiculés et ne pâtiraient donc aucunement d’une loi estampillée « idéologie bobo ». Or, selon l’Insee, le taux de motorisation des ménages des ouvriers et des employés dépasse 80% et grimpe même jusqu’à 90% en zone rurale !

Miracle, les « moins riches » ont donc bien une voiture, les dernières rumeurs disent d’ailleurs qu’ils ne se véhiculent plus à dos d’âne depuis 1930 ! Comme le progrès va vite et comme celui-ci n’épargne plus les campagnes ! Alors il est vrai que leur carrosse n’est pas toujours en très bon état, que son âge moyen approche des quatorze ans et qu’il roule, souvent, au diesel. Mais enfin, il a le mérite d’exister et d’avancer cahin-caha.

Votre enfant échoue ? Mais voyons, tout est de votre faute ! Que ne l’avez-vous fait participer à des tests d’orientation quand son cortex préfrontal était encore à son maximum ?

Ophélie Roque

Et heureusement que les « habitants des zones périphériques » (que d’exotisme nous avons en France !) disposent d’un véhicule puisque, ici encore, la géographie joue un rôle clé ! À celui qui est éloigné des centres urbains et des réseaux de transport collectif, la voiture n’est pas un luxe mais une nécessité. Nos politiques ont-ils déjà oublié que c’était le projet de taxation sur l’essence qui avait lancé à l’assaut de nos ronds-points ces « croquants » en gilet jaune ? Triste mémoire que celle qui oublie ce qui l’arrange.

Quant aux propos d’Élisabeth Borne, qu’en dire ? L’idée même de demander à un bambin de savoir ce qu’il veut faire une fois grand est à équidistance entre l’absurde, le grotesque et le criminel. Et surtout, surtout, que de mauvaise foi ! Faire porter le poids de la tragicomédie qu’est l’écueil des études supérieures en pointant moins l’institution et les catastrophiques prises de décision de ces dernières années que l’impréparation des familles. Votre enfant échoue ? Mais voyons, tout est de votre faute ! Que ne l’avez-vous fait participer à des tests d’orientation quand son cortex préfrontal était encore à son maximum ? Inconséquents parents que vous êtes ! Comme tout ceci est mérité !

Donc pour résumer, les pauvres n’ont pas de voiture et leurs enfants ont intérêt, dès 3 ans, à se forger un solide avenir professionnel ! Que suis-je bête, encore faut-il qu’ils conservent à l’esprit le fait qu’ils ne pourront guère se déplacer… Non vraiment, le mieux est encore qu’ils restent chez eux, on leur fera coucou de la main depuis la grande route !